GATIGNOL, Patrick. Amicalement à J. Derrida.

DERRIDA, Jacques

Pendant des Années et des Années, pendant des décennies ; des centaines et des centaines de personnes, très diverses, ont lu et relu et travaillé les dizaines et dizaines de « livres » écrits par J.Derrida : Lu et relu et travaillé la Pensée-DERRIDA en chantiers actifs – Pour nous et pour lui.
Ces « chantiers actifs » = « work in progress » ont dynamisé, transformé, subjectivé nos propres chantiers actifs – comme un accompagnement ; un Enseignement, amical, hygiénique – l’un des rares dans ces époques de bidonneries.
Chacun de nous en a été transformé dans son existence même. Nous en sommes devenus plus actifs et donc moins réactifs, plus libres et donc moins serves aux pouvoirs, plus fidèles et donc moins girouettes, plus généreux et donc moins égocentriques, plus inventifs et donc moins académiciens. J.Derrida nous a « quand même » rendu un peu meilleurs.
Dans l’immense corpus des textes de la Pensée JACQUES DERRIDA chacun de nous y a choisi, puisé des ressources pour la vie de sa pensée.
J’y ai puisé beaucoup de mes meilleurs ressources ; à son école, j’ai essayé en me les appropriant, de les réinventer un petit peu ; Fidélité-Infidéle qui seule pouvait se prévaloir quelque peu de sa générosité.
Pour lui rendre hommage le mieux serait que chacun de nous dresse la liste de tous ses textes qu’il lui est arrivé de rencontrer – Voici ma liste.
1967 L’Ecriture et la Différence
1967 De la Grammatologie
1972 La Voix et le Phénomène
1972 La Dissémination
1972 Marges
1972 Positions
1978 Eperons
1978 La Vérité en Peinture
1981 Glas
1986 Schibboleth pour Paul Celan
1986 Parages
1986 Altérités
1987 Ulysse Gramophone
1988 Synéponge
1990 Heidegger et la Question
1990 Du Droit à la Philosophie
1991 L’Autre Cap
1992 L’Ethique du Don
1992 Points de Suspension
1993 Spectres de Marx
1994 Politique de l’Amitié
1994 Force de Loi
1995 Moscou aller et retour
1997 Cosmopolites de tout les pays encore un effort
1999 Sur Paroles
2000 Le Toucher J.L Nancy
2001 Foi et Savoir
2001 Dire l’Evénement est impossible
2001 L’Université sans condition
2004 Le Concept du 11 Septembre
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Mais qu’en est-il de ces textes et de celui / ceux qui les a écrits, les a mis en circulation, en devenir – Pour nous ?
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Vous étiez notre Socrate dans l’Epoque : Socrate vous l’étiez même au sens du Socrate de Platon, pulvérisant tout aussi vivement le « prêt-à-penser » médiatique que le « prêt à penser » boursouflé « Néo »-kantien ou « Néo-Ethique ».
Mais vous l’avez été et vous l’êtes dans un sens autre, dans une autre époque (plutôt que d’une autre époque) : Comme celui qui traque la part de non-Vérité, d’a-Vérité dans toute prétention à la Vérité – en tant qu’impureté irréductible et interne. Cette part comme conditions disparates de possibilités de toute véridicité : Pouvoirs qui instrumentalisent, financent, sélectionnent ; Langues comme matériaux de toute conceptualité ; Métaphoricités incontournables et innéliminables etc.(etc. par principe). Jamais aucune véridicité ne saurait se déployer hors de tout cela qui la parasite intérieurement dans un rapport d’extériorité-interne.
Jacques Derrida-Socrate Vous comme le fossoyeur intraitable et joyeux, non point du vrai, mais de toute prétention à la pureté autonome du Vrai – sans nihilisme donc, mais sans concessions.
Que l’Un n’est pas : Que du complexe, de l’hétérogène, du décalé intérieurement ; sans Origine, sans fin destinale, sans essence sous jacente, sans identité stable, sans frontières traçables, sans temporalité homogène : An-archie .
Rien que que le disparate de soi. « Soi » ? Rien que l’indéfiniment différencié intérieurement/extérieurement : Rien que l’effectivité de ce qu’il arriva à Jacques Derrida d’appeler « différance » et qui ne pourrait exister que dans ce qu’elle différencie.
Et Derrida-Socrate de traquer toute fétichisation d’un Un, y compris dans la fétichisation de la « différance » elle-même ! La « différance » comme Une n’est pas, il n’y a que de la différenciation toujours autre.


Que l’impossible est toujours multiple :
Comme événementialité inanticipable, incalculable, hors toute téléologie, mais en risque de détotaliser / recomposer le monde-immonde des puissances dominantes. L’impossible comme l’inouïe possible/impossible. La tresse de nos espoirs et de nos fois.
Comme ce qui « possibilise », ce qui est, justement / en n’existant pas. Ce qui existe n’existant que de forclore cet impossible. Exemple la « guerre nucléaire » : Tout ce qui a existé des deux blocs pendant des décennies n’a existé qu’en tentant et en réussissant toujours à la rendre impossible. Mais qu’en est il d’un Monde qui ne repose que sur le Néant, de la mort nucléaire ?
Comme l’impossible « possibilisant » non pas ce qui est, mais ce qui pourrait arriver événementiellement – mais qui lui ne saurait arriver (même événementiellement), en tant qu’il est ce qui est toujours à venir, à travers ce qui advient pourtant (événementiellement) ; comme sa limite asymptomatique ; comme ce dont il faudrait indéfiniment s’approcher ; comme ce qui ne cesse d’aimanter ce qui pourrait advenir.
Qu’il n’y a de Pensée – digne de ce nom – que radicale : Parce que penser c’est penser l’impossible (en dehors de quoi il n’y a que gestion-comptable-technicoscientifique) Et au moins suivant les figures précédemment saisies.
Que pour échapper à la veulerie dominante, il faut se garder de tout réalisme, qui de toute façon ne peut que mutiler « irréellement » les puissances effectives du Réel.
Que l’honneur et la seule justification de la pensée sont d’être dans la garde de l’impossible, du réel comme impossible.
Et Jacques Derrida de radicaliser jusqu’à l’impossible, l’idée de Don, de Pardon, de Foi, d’Hospitalité, d’Europe, d’Amitié etc ; pour penser ce qui est toujours à venir comme ce par quoi quelque chose d’effectif peut valoir.
Que la Pensée ne se donne pas dans des Thèses-Résultats, ni dans des Systèmes : Tout concept, toute pensée sont impurs, inachevés, intérieurement déstabilisés : Une diversité hétérogène, toujours diversifiée et toujours au travail – travail d’altération et de devenir autre, diversement autre ?
Il n’y a jamais que des exercices de pensée ; hypothétiques, problématiques, expérimentaux – proposés à la cantonade. Jamais autre chose que la mise en dérision de l’idée même de Système.
La Pensée est sans point de départ, sans point d’arrivée, sans élément fixe et isolable ; sans aucuns résultats identifiables : Elle n’existe que dans son indéfini déploiement, hors toute totalisation, hors toute atome de pensée. Il n’y a que la Pensée à l’œuvre, toujours autre que toute œuvre ?
Déstabilisée, déstabilisante, sans identité et donc désidentifiante. An-archie.
C’est pourquoi il faut toujours partir de textes déjà écrits, mais toujours à réécrire en les relisant activement, en traquant et activant leurs hétérogénéités constitutives : Tant il est effectif que toute pensée se précède elle-même dans des textes déjà écrits, mais qu’elle va réécrire dans la plus fidéle-infidélité. Toute prétention à une axiomatique de pensée n’est que l’illusion d’un origine contraire à ce qu’il en est / n’est pas du Réel.
Et vous auriez aimé, qu’en même, que la pensée-Jacques-Derrida soit reconnue par l’Université Française ?Mais l’Université Française ?

Adieu Ami, vous dont la personne et la Pensée avaient / ont cette générosité d’avoir des Amis dans le Monde entier, sans que pour la plus part vous les connaissiez personnellement. Adieu – nous continuons nous autres. Merci.
P.S : Ce « texte » est un exercice – d’hommage à la pensée Jacques-Derrida / et à Jacques-Derrida. Ce qui s’y inscrit en exercice n’est pas « de » cette pensée (Ce qui s’y pose de « l’Un qui n’est pas » est par trop « ontologique »), ni non plus extérieur à cette pensée, ni non plus de celle de celui qui écrit cela (ce qui y est dit du thétique par exemple). C’est comme l’effet « de » cette pensée sur la « mienne propre » qui alors n’est plus mienne pour autant qu’elle ne l’ait jamais été.