Introduction

BAKUNIN, Mihail Aleksandrovič (1814-1876)politiqueARISTOTE (c. 385 - 322 av. J.-C.) Philosophe grecCREAGH, Ronald (1929 - ....)document original spécialement rédigé pour le site "Recherche sur l’anarchisme"

La philosophie doit-elle se mêler de la politique ?
On accuse la philosophie grecque, par exemple, d’avoir mêlé les genres :

" ’ousia’ est le substantif formé sur le verbe ’être’, c’est pourquoi il signifie à la fois l’existence, ce qui existe et les moyens d’existence. ’archè’ signifie d’une part ’commencement’, d’autre part ’commandement’, ’magistrature’ ou ’régime politique’. Sur le terme ’agora’,’assemblée’, s’est construit le verbe ’agoreuô’, ’parler en public’ qui a très vite pris le sens simplement de ’dire’, sur lequel a été construit, en grammaire et en logique, le composé ’katègoreuô’ qui signifie ’attribuer quelque chose à un sujet’".

Pour certains, comme R. Schurmann, cette polysémie illustre le lien entre philosophie et politique et, en particulier, entre hiérarchie de la connaissance fondée sur l’archè et hiérarchie politique. Pour d’autres, cependant, cette polysémie ne s’explique

" dans aucun des cas par une relation entre philosophie et politique. Le problème de Heidegger […] est qu’il considère le sens étymologique comme le vrai sens des mots, même quand l’usage les a fait évoluer très loin de leur origine au point d’en faire même perdre la conscience. Aristote admet bien un lien entre les deux significations principales de l’archè mais il les utilise toutes les deux dans le sens non hiérarchique de ce d’où vient quelque chose, ce qui est responsable d’une situation. En politique, il plaide pour une répartition la plus large possible des trois pouvoirs, et en philosophie, il institue une structure générale d’explication du monde (aussi bien physique qu’humain) à partir d’un ensemble de concepts qui, dans chaque domaine, permettent de rendre compte d’une situation donnée." [1]

Petit clin d’oeil vers l’anarchie

La crise de la représentation (au niveau des significations, mais aussi du politique), la perte de foi dans les grands récits fondateurs, par exemple le marxisme, les interrogations sur la validité des sciences ont entraîné un certain nombre d’auteurs à aborder le thème de l’anarchie. Des deux côtés de l’Atlantique paraissent des ouvrages qui y font référence.
Il faut le reconnaître, la plupart des débats philosophiques sur le concept d’anarchie relèvent davantage de la coquetterie universitaire que d’un discours qui prendrait en considération l’anarchisme historique. Les auteurs prennent même grand soin de se laver les mains : c’est une question de classe sociale, il faut éviter toute boue, toute attache à ce mouvement.
C’est donc sans enthousiasme indu qu’on examinera les livres cités dans cette rubrique. Belle occasion pour garder tout son sens critique.
Il n’en est pas moins vrai qu’un grand courant de philosophie occidentale, à l’instar des monothéismes, rattache les origines du monde à la fin d’un chaos initial et à l’installation d’un ordre hiérarchisé. Le principe de départ de cette pensée est donc déjà orienté dans un sens donné. Ne peut-on le remettre en question ?
Des philosophes et des militants ont réfléchi sur ces rapports de l’anarchie et de l’ordre, mais aussi sur d’autres facettes de la vie sociale. On peut citer, parmi les plus connus, Godwin, Proudhon, Bakounine, Stirner, Nietsche, Kafka, Camus.
Il faut toutefois se souvenir que les penseurs, libertaires ou non, ne travaillent pas tous à partir des mêmes fondements philosophiques ni sous le même éclairage. La philosophie demande parfois de creuser jusqu’aux gisements les plus profonds.

Ronald Creagh

[1Information aimablement communiquée par Annick Stevens. Voir aussi son ouvrage, L’ontologie d’Aristote, au carrefour du logique et du réel qui vise notamment à montrer à quel point cette structure est horizontale et non verticale.