Gurs : le camp de la honte
D’un camp de réfugiés basques, à un camp de concentration de juifs, retour sur cette partie de l’histoire que l’on a voulu nous cacher
Population. BasquesBordeaux, Aquitaine et région du sud-ouest, FranceDroit. Camps d’internement, de concentration Population. RéfugiésL’histoire du camp de Gurs est la triste histoire d’un camp construit en 1939 pour accueillir des réfugiés basques de la Guerre Civile d’Espagne. Situé à 10 km d’Oloron-Sainte-Marie, près des villages de Navarrenx et de l’Hôpital-Saint-Blaise, il s’agissait d’un lieu initialement d’accueil, devenu un lieu de rétention des réfugiés puis utilisé comme camp de concentration de juifs à partir de 1940, une étape vers les camps d’extermination nazis.
Vendredi dernier, l’historien Jean-Claude Larronde a tenu une conférence publique à Bayonne afin d’aider à lever le voile que les autorités françaises ont jeté sur cette étape de notre récente histoire, "une honte immense pour les autorités françaises".
Au printemps 1939 des milliers de réfugiés de la Guerre Civile d’Espagne croiseront les frontières des Pyrénées. Ils seront près de 500 000, majoritairement catalans, espagnols et basques, aviateurs, soldats, simples réfugiés. Ils ont perdu la guerre contre Franco. Ils ont traversé les Pyrénées pour échapper aux représailles du dictateur.
La fuite sera peu ou pas préparée, notamment une fois la frontière passée. D’après Jean-Claude Larronde, le Gouvernement Basque en exil a été l’un des seuls organismes à participer à l’organisation de l’accueil des réfugiés, avec un bureau à Perpignan pour organiser cet accueil.
Au total 15 camps de réfugiés seront mis en place le long de la frontière, et les Basques seront dispersés dans ces différents camps.
C’est ainsi que sera créé un camp à Gurs, afin d’accueillir les Basques. Les premiers réfugiés basques arriveront dès le 5 avril 1939. D’avril à août, des combattants républicains basques, espagnols et internationaux seront accueillis. De septembre 1939 à mai 1940 ce sont essentiellement des réfugiés espagnols.
L’historien Larronde indique qu’une hostilité locale s’est fait ressentir envers ces "hordes de rouges", les habitants des alentours craignant des débordements.
À la fin de la guerre civile en Espagne, ce sont des milliers de réfugiés qui ont croisé les Pyrénées. Accueillir des milliers de personnes, dans les foyers locaux, paraissait une mission impossible, raison pour laquelle des camps de réfugiés ont été mis en place le long de la frontière franco-espagnole, du Pays Basque à la Catalogne. Pour la plupart, les internés dans ces camps n’avaient pas ou pratiquement pas de relation avec la population locale, comme l’indique Jean Claude Larronde. Pourtant, les foyers basques ont reçu des dizaines de réfugiés. Combien étaient-ils ? Cet aspect discret ou clandestin de la chose limite de le savoir avec exactitude. Un point de vue renforcé par le public qui assistait vendredi à la conférence, à Elkar Megadenda. Pour preuve le témoignage d’un Souletin qui a raconté se rappeler de cette enfance où les réfugiés de 36 avaient été accueillis dans les maisons, se souvenant que dans le quartier, chez les voisins , "c’était pareil". Une solidarité jamais démentie, ni à l’époque des réfugiés carlistes au XIXe siècle, lors de la guerre de 36, ni même après la fin de la guerre sous la dictature de Franco jusqu’à nos jours.
A l’inverse, les habitants du Pays Basque nord ont maintes fois croisé les Pyrénées, du temps de Napoléon, ou encore pour éviter d’aller au front lors de la première guerre mondiale.
La construction du camp
Les 400 baraquements du camp de Gurs avaient été construits dans la hâte. Les réfugiés ne cessaient d’arriver et le camp remplira convenablement sa fonction d’accueil, comme le constatera sur place Telesforo de Monzon, ministre du Gouvernement de Jose-Antonio Aguirre. Mais, par l’augmentation incessante des réfugiés, la situation se dégradera de jour en jour.
En quelques mois, le camp deviendra un immense bourbier, les aliments et les habits manqueront, les maladies s’installeront et les médicaments manqueront. Le 10 mai 1939 il y aura 19 000 personnes dans ce camp, dont plus de 6 000 Basques. D’un camp d’accueil de réfugiés, il deviendra un camp d’internement avec les pires conditions de vie.
Pourtant les Basques ont été ceux, peut-être, qui ont le moins souffert, d’après Jean-Claude Larronde. Dès le début, une solidarité et une organisation se sont mises en place, qui rendaient plus supportables les conditions extrêmes dans lesquelles ils se trouvaient. Plusieurs dizaines de détenus se seraient même faufilés parmi les Basques, afin de bénéficier de cette vie commune.
Le camp de Gurs deviendra un piège pour tous les réfugiés, ne pouvant y sortir que s’ils pouvaient assurer de l’existence d’un foyer d’accueil ou un travail à l’extérieur.
Les réfugiés basques et les Espagnols sans papiers seront en grande partie transférés à Rivesaltes. Les femmes allemandes fuyant le nazisme seront libérées à la fin de l’été 1940. Les indésirables français : militants communistes, syndicalistes, socialistes, anarchistes, droits communs, quitteront Gurs pour le camp de Nexon la même année.
En mai 1940, à l’arrivée du député garaztar pro-franquiste Jean Ibarnegaray au ministère de l’intérieur, une razzia sera lancée contre les réfugiés basques. Entre 400 et 800 seront arrêtés en Pays Basque nord puis internés au camp de Gurs.
Mais à la veille de l’arrivée le 26 juin 1940 des troupes allemandes au Pays Basque les Basques seront libres de partir ou transférés dans l’Hérault, de peur qu’ils soient arrêtés et remis aux autorités franquistes, alliées d’Hitler.
À partir du 24 octobre 1940, le camp de Gurs deviendra un camp de concentration pour les juifs. Près de 6 000 juifs, pour la plupart originaires de la région de Bade (Allemagne) seront ainsi retenus dans ce camp, par des gendarmes et gardes mobiles français dans des conditions misérables en attendant leur déportation vers les camps d’extermination. Plus de 1000 mourront à Gurs. 3 907 seront déportés en 1942 et 1943. Tous sont livrés à l’Allemagne nazie par les policiers français, entassés dans des wagons. Les listes sont dressées par les directeurs du camp de Gurs. Ces hommes et ces femmes périront à Auschwitz (Pologne) gazés et brûlés.
Pendant 40 ans, une chape de plomb a régné sur le camp de Gurs.
Après la libération, le camp sert de site d’internement pour les trafiquants du marché noir, les petits collaborateurs et des prisonniers de guerre allemands.
Le camp est définitivement fermé le 31 décembre 1945. Les baraques encore utilisables sont vendues aux enchères en 1946. Les autres sont brûlées par mesure d’hygiène. À la fermeture du camp, les autorités feront leur maximum pour effacer toutes traces de ce camp. Une forêt est plantée sur les lieux du camp. Aujourd’hui 1000 stèles juives et quelques dizaines de réfugiés républicains témoignent de ce passage, une sculpture et un mémorial témoignent de ce passé que l’on a voulu longtemps nous cacher. Un projet de musée est également prévu.
En mai dernier un hommage a été rendu à tous ceux qui ont souffert dans ce camp. Aucune autorité de l’Etat français n’était présente.
Aux Fusillés d’Hernani
70 ans, pratiquement jour pour jour, auront été nécessaires pour rendre hommage à la mémoire des 197 personnes fusillées à Hernani par les franquistes, après leur victoire sur le front del Norte à l’automne 1936. Un monument à leur mémoire, du sculpteur Carlos López de Ceballos, Argi Horma ("Mur de lumière"), situé dans le cimetière d’Hernani, a été inauguré par le gouvernement d’Euskadi à la mi-novembre. A l’image des initiatives en cours dans l’Etat espagnol pour récupérer la mémoire des vaincus, comme l’a rappelé mercredi en débat R. San Geroteo, président de Mémoire de l’Espagne républicaine, à Bayonne.