La grève des électeurs
délégation de pouvoir (élections)MIRBEAU, Octave (1848-1917)En appelant, en 1888, dans les colonnes du Figaro, les électeurs à faire la grève du suffrage universel, Octave Mirbeau, l’auteur des "Affaires sont les affaires", voulait faire réfléchir sur ce que voter veut dire.
Octave Mirbeau (1848-1917) n’était pas du genre à tergiverser. Ce qu’il avait à dire, il le disait. Et plutôt deux fois qu’une, en appuyant toujours un peu pour agacer le sens commun. Pour déranger, pour provoquer. À l’époque, on appelait cela un pamphlétaire. Aujourd’hui, il serait demandeur d’emploi.
« Une chose m’étonne prodigieusement – j’oserai dire qu’elle me stupéfie – c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. »
Devant la multiplication des malversations et des combines qui secouent la III e République, l’écrivain s’enflamme dans Le Figaro et signe le 28 novembre 1888 ce petit texte féroce aujourd’hui remis à disposition par les éditions Allia à un prix modique [1] mais que l’on peut également consulter gratuitement sur la toile. Déjà à l’époque, Mirbeau comprend qu’un escroc trouve toujours des actionnaires. « Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier. »