Les obsèques du citoyen Francis de Pressensé. Film documentaire
Après le succès des Sociétés Savantes, le Cinéma du Peuple met en scène un second court métrage, Les obsèques du citoyen Francis de Pressensé. Cet unique documentaire de la coopérative, expose le témoignage filmé de cet événement qui a lieu le 22 janvier 1914. Pressensé marque les esprits des Francs-maçons et des anarchistes, étant à l’origine de la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, présidant à la Ligue des Droits de l’Homme, et s’opposant à la loi des trois ans. [1] Le 31 janvier 1914, le film sort aux Folles Buttes, avenue Mathurin Moreau à Paris. Ce document historique montre toutes les figures imposantes de l’époque suivant l’enterrement du député socialiste, dont Jaurès, Vaillant, Dormoy, Colly, ou encore Pouget. La projection des Obsèques du citoyen Francis de Pressensé, précédée des Misères de l’aiguille, laisse la place à une troisième bande filmique réalisée par Armand Guerra fin janvier 1914, L’hiver ! Plaisirs des riches ! Souffrances des pauvres !. [2]
Cette dernière œuvre affiche l’inégalité inhérente à la société capitaliste. Le film arbore les loisirs des nantis, comme le patinage sur le lac du Bois de Boulogne, qui grâce à un montage alterné, fait face aux pauvres, affamés, faisant la queue devant la soupe populaire.
(…) L’hiver ! Plaisirs des riches ! Souffrances des pauvres ! Ce sont les plaisirs du patinage. C’est Gérardmer et les beautés de l’hiver, les belles dames bien habillées qui s’en donnent à cœur joie avec des oisifs. Comme contraste, voici le mur du Père-Lachaise. Les longues files de malheureux attendent depuis des heures, grelottants, une maigre soupe. Des gens hâves, décharnés … La misère est là dans toute sa laideur. (…) Et cela vaut mieux qu’un discours pour flétrir le système social actuel. [3]
Ce film se rapporte exactement au projet esquissé par Yves-Marie Bidamant en septembre 1913, avant même que le Cinéma du Peuple soit définitivement fondé.
(…) Et la vie des usines ! … Ne croyez-vous pas que ce serait une excellente leçon de choses que de faire défiler sur l’écran l’existence terrible des bagnards de l’atelier ? Et comme contraste, le ciel ensoleillé du midi, Nice et ses belles villas, l’existence dorée de nos maîtres, la vie facile et sans heurts des heureux du monde. Ne croyez-vous pas que cela vaut bien un discours ? [4]
Il semble tout à fait probable que Bidamant ait construit le scénario de L’hiver ! Plaisirs des riches ! Souffrances des pauvres ! Celui-ci fait, par ailleurs, très fortement penser au film A propos de Nice de Jean Vigo. L’hypothèse d’une influence directe de la bande du Cinéma du Peuple sur le jeune Vigo, qui devait très certainement accompagner son père lors des projections de la coopérative, [5] apparaît plus que plausible.
Victime des exploiteurs, dans la même veine, présente une étude sur le travail à domicile qui concerne à nouveau les femmes. Ce film a peut-être été inspiré par celui d’Alfred Machin intitulé Au ravissement des Dames, tourné en Belgique en juillet 1913. [6]
Isabelle Marinone
[1] Aux trois ans de service militaire en vigueur à l’époque.
[2] Annonce, « Grande fête », Paris, Le Libertaire, 31 janvier 1914, p. 2.
[3] ALMEREYDA Miguel, « Le Cinéma du Peuple », Paris, Le Bonnet rouge n°15, 28 février 1914, p. 15.
[4] BIDAMANT Yves-Marie, « Pourquoi un Cinéma du Peuple ? », Op.cit, p. 3.
[5] ALMEREYDA Miguel, « Le Cinéma du Peuple », Op.cit, p. 15.
[6] WEBER Alain, Cinéma(s) français 1900-1939, un monde différent, Op.cit, p. 24.