RUSSIER, Jean-Paul. "GAUCHE, ANNEE ZERO"

La vieille gauche et les chantiers de l’avenir.

capitalisme et anticapitalismeUnion EuropéenneRUSSIER, Jean-Paul. sociologue

Le non a gagné. Cette victoire marque une rupture importante ; elle inaugure un autre moment dans la construction européenne : construite par le haut, par les élites et par l’économie, l’Europe est restée longtemps absente du débat ou, instrumentalisée comme le mauvais objet de la politique, les bureaucrates de Bruxelles. Avec ce référendum, la question de l’Europe s’est posée partout, des machines à café aux repas de famille. L’obligation de contrer le oui en affichant une autre Europe a même obligé certains nationalistes honteux (le PCF) a se proclamer défenseurs d’une europe de gauche, recouvrant le vieux clivage européens/ républicains. Ce vote ouvre aussi une série de tâches pour la gauche. Ce qu’une société a fait, peut être refait mais encore faut-il satisfaire à des conditions, économique, politique et démocratique.
Commençons par l’économie. De loin le mot le plus entendu au cours de ces dernières semaines fut “ libéralisme ”. Cela correspond à une réalité : libéraliser les marchés des règles et des encadrements institutionnels. Cela recouvre tout ce qu’on épingle comme délittement d’un mode de vie, un capitalisme tempéré. Pourtant, les choses sont plus compliquées. Derrière ce refus, il y a une croyance d’autant plus forte qu’elle n’est jamais avouée : non seulement une autre économie que le capitalisme mais un bouleversement radical est possible ! C’est sur cette ambiguité que le non s’est appuyé. A fréquenter le mouvement alter et ces nouveaux convertis de gauche on sent cet espoir des militants et... la prudence matoise des responsables sur l’avenir de la société.
Il y a plusieurs façons de dépasser le règne du profit. On peut recourir à l’Etat et aux nationalisations (version ordinaire de l’expropriation des moyens de production marxiste) comme la gauche en 1981. On peut aussi organiser le marché et l’accès aux biens publics non marchands (santé, éducation, brevets, …) par une régulation interne de l’économie capitaliste. Et dans ce sens, il faut bien admettre que divers acteurs obéissent à une logique d’intérêt public et mettent en œuvre des “entreprise à but non lucratif ”. Personne ne peut nier l’utilité sociale des régies, des associations dans le domaine du sport, la santé ou l’action sociale. La gauche française ne peut plus faire l’économie de ce débat sur les modalités de service au public au delà du refus idéologique des Services d’Intérêts Généraux (du TCE) et la défense obstiné du Service Public à la française. Il a commencé dans son aspect particulier au sein des forums sociaux avec la critique des grandes entreprises publiques gérées par des technocrates. Il doit se généralisé devant le peuple de gauche : est-ce que l’entreprise EDF défend un service public de l’énergie en vendant de l’électricité nucléaire pour des maisons non isolées, augmentant la facture et la quantité utilisée, facture que les services sociaux paieront ? est ce qu’une autre façon d’envisager l’énergie est possible ? Le Réseau Sortir du Nucléaire l’affirme. Idem, pour les transports : est- ce qu’un réseau centralisé de TGV, l’abandon des lignes régionales et du fret aux camisons est une solution dans l’intérêt public ? Dans la marche à l’économie plurielle, il faut inverser l’accent, non défendre mais transformer les services publics.
La question politique n’est pas moins importante. On ne peut qu’applaudir à la dénonciation des méfaits du capitalisme actuel. Face au capitalisme financier, dont la loi est le taux de profit, la logique industrielle, les flux tendus et le zéro défaut, la logique de production, l’obsolence artificielle des produits, face à l’impérialisme de la mode, que voulons-nous ? Une généralisation de cette société de consommation où sitôt commandé, le produit est chez vous ; où vos enfants rêvent du dernier portable vu à la télé ? ce monde nous séduit comme consommateurs pour mieux enchaîner les producteurs. Il a pour conséquence le chômage via l’élévation du niveau de qualification et de compétition des hommes, plus de stress, plus de camions sur les routes et plus de pollution. Après le refus de légitimer ce mode de production-consommation, vient le moment d’affirmer une alternative : un projet de croissance pour les pays pauvres (y compris européens) et une forme de décroissance pour les pays riches (dont nous faisons partie).
C’est peu dire que les partis de gauche évitent le sujet pour unifier les contre. S’ils proposent une juste résistance des producteurs salariés contre la marchandisation, ils se gardent bien d’évoquer la conversion radicale de nos mode de consommations. C’est la Confédération Paysanne et les Verts qui se battent contre les OGM. C’est un prêtre qui lance la croisade pour une consommation équitable ! Ce sont des marginaux qui développent les logiciels gratuits contre Microsoft. Ce sont des capitalistes qui inventent d’autres produits, rustiques, la logan ou l’ordinateur à 150 E. Au delà des solidarités factices, après le tous ensemble émotionnel contre le TCE, on attend la gauche du non sur le terrain des actions revendicatives et des transformations concrètes. Le vrai danger est moins dans la loi, fut-elle constitutionnelle, que dans la force d’airain d’un système économique planétaire.
Ces défis ont des implications sur le plan de la démocratie collective. Cette transformation générale de la société ne se fera pas par la prise du pouvoir d’état par une majorité de gauche ; elle suppose une myriade de luttes locales et globales. Ce n’est pas la loi qui suffit pour implanter une autre énergie (les éoliennes) face aux intérêts économiques installés, aux réglements bureaucratiques EDF et aux représentations technocratiques des ingénieurs. Ce sont les alliances des associations de consommateurs, des syndicats agricoles qui tisserons des réseaux de distribution agricole « courts » contre les trusts agricoles et la grande distribution. Avec ce nouveau mouvement politique, associant syndicats, partis de gauche, collectifs et associations de consommateurs nous quittons la structure parti-syndicat, nous abandonnons Marx pour Proudhon.
Les idéaux de cette nouvelle gauche doivent s’élargir à des luttes nouvelles (mobilisations pour les causes médicales, environnement et risques industriels...) nécessitant une démocratie élargie surgissant directement des habitants ou des professionnels. On en a vu les embryons avec le mouvement des chercheurs ou des intermittents. C’est peu dire que cela tranche avec le cadre d’action historique de la gauche.
Enfin, il faudra bien articuler long terme (le projet d’une autre société) et court terme (les échéances électorales). Ce n’est pas la présence de Fabius, dans un rôle de composition anti libéral, qui pousse à cette interrogation ; c’est l’obligation de débouchés institutionnels démocratiques. Si la galaxie composant la gauche du non n’opère pas cette conversion et si elle ne fait pas le deuil de son rêve d’un changement global par en haut et d’une transformation radicale (avant, on osait parler de révolution), elle aura organisé un mouvement poujadiste de gauche contre l’Europe. Il ne suffit pas de stigmatiser D. Cohn Bendit comme libéral, encore faut-il faire comme il l’a fait (et plus clairement) cette mutation de pensée qui décrit la voie et les étapes d’un réformisme radical. Faute de quoi, nous reverrons Le Pen.
Jean Paul RUSSIER
Sociologue