PELLETIER, Philippe. « Les anarchistes et la science : approches »

Notes prises au cours de l’exposé présenté au Colloque de l’Université de Toulouse 1999, "L’anarchisme : quel avenir ?

BAKUNIN, Mihail Aleksandrovič (1814-1876)natureKROPOTKINE, Petr Alekseevitch (1842-1921) BOOKCHIN, Murray (14 janvier 1921 – 30 juillet 2006) PRUDHOMMEAUX, André (1902-1968)sciencePhilosophie. RationalitéPELLETIER, Philippe (1956-… ). GéographeDESCARTES, René (1596-1650)

L’approche sera focalisée sur le rapport hommes-nature (ce pluriel est important ne serait-ce que pour rappeler l’existence de classes sociales).
Au départ, la science était rapport raisonné des relations entre les espèces vivantes et le milieu naturel. La science moderne n’a pu apparaître qu’au moment où la philo dominante se dégageait des anciennes conceptions liées à d’autre approches de la nature. En gros, deux approches intellectuelles ont dominé l’histoire de l’humanité :
* l’une qui place la nature comme élément premier de causalité
* l’autre qui réfute cette façon de voir.
La première est métaphysique, la seconde rationnelle. Cette opposition contribue à ce qu’une partie de l’écologie contemporaine appelle biocentrisme d’un côté, anthropocentrisme de l’autre.
Cette conception unitaire de la réalité va rendre impossible la naissance des sciences de la nature. Elle chemine dans l’Occident en gros jusqu’à la Renaissance. Triomphe du néoplatonisme, d’une philo recyclée par le christianisme, notamment St Augustin : seule la contemplation de Dieu est source de salut. Il critique cette « maladie de la curiosité » qui pousse à connaître les secrets de la nature. Approche avec des interdits et des peurs qui marque encore notre quotidien.
La philo des lumières va être complémentaire avec une approche parcellaire : elle décompose le cosmos pour mieux l’analyser : mathématisation, modélisation, etc. A force de diviser on peut perdre un sens du global, la synthèse devient plus difficile, mais tout dépend comment on considère les choses, la relation — cf. le systémisme ou le structuralisme actuel — approche qui n’est possible que si elle se dégage de l’emprise des dieux. La philo des lumières est potentiellement antireligieuse et laïque, même si pendant longtemps il y a confusion. On comprend pourquoi les Églises ont combattu de façon si violente ces idées.
La fameuse phrase de Descartes, « je pense donc je suis » constitue l’individu sans dieu ni maître.
On pourrait contester cette liaison entre la pensée globaliste et la pensée moderne. Le contre exemple est vu dans la pensée orientale qui a survécu jusqu’au 19e siècle, en Asie par exemple. Il y avait des conceptions technologiques en avance sur l’Occident, mais en dépit de ces innovations, la science moderne n’y a jamais pu éclore, et la raison en est l’attrait de ces philosophies globalistes qui refusent une approche parcellaire et empêchent l’émergence de la dichotomie sujet-objet, l’émergence de l’individu.
Un grand nombre de scientifiques ont été influencés par ces approches orientales, par exemple Roger Garaudy. Celui-ci reprend cette idée que l’homme appartient à la nature et non que la nature appartient à l’homme. Comprendre la vie c’est d’abord comprendre son unité. Donc retour à une conception globaliste.
Quels rapports y a-t-il entre l’anarchisme et la science moderne aujourd’hui ? Dans l’analyse sociétaire, il y a une grande valeur accordée à la science moderne. Malgré des réserves, il y a une approche positive de la science. D’autres approches, plus antiscientifiques, disent que la science est amorale, peut être utilisée pour le bien ou pour le mal.
Bakounine, qui critique le règne de l’intelligence scientifique, le plus arrogant de tous les régimes, le fait à la suite d’une critique de Marx.
Kropotkine se rapproche peut-être le plus d’une conception globaliste du monde. Il pense que finalement l’anarchie est la science qui permet de voir les besoins de la société et d’y répondre.
Au-delà de Kropotkine et du kropotkinisme, l’appréciation positive envers la science se manifeste dans le recours aux statistiques. On pourra ainsi apprécier les besoins de manière plus rationnelle. Le mouvement anarchiste se place ainsi dans l’idée de l’administration des choses qui doit remplacer le gouvernement des hommes. C’est très net, p.ex., dans les textes de Leval sur la Révolution espagnole.
Après la guerre, avec l’affaiblissement du mouvement anarchiste, la réflexion sur la science et les rapports hommes-nature sera plus difficile ; on trouve un certain nombre de réponses chez André Prudhommeaux à ce scientisme, qui affirme que la science peut se tromper et tâtonner, ou encore chez Bookchin.
Ce débat hommes-nature est important parce que le bilan anarchiste du marxisme est, en gros, tristement fait. C’est plus vis-à-vis de l’écologisme qu’il convient de réfléchir. Une partie de l’écologisme a rejeté la science ; ensuite cette critique antiscience s’est appuyée sur des éléments libertaires ou prétendus tels ; enfin le mouvement écologique s’est appuyé sur la lutte antibureaucratique pour partir à la conquête du pouvoir d’État. La critique de la science n’est pas l’apanage du courant libertaire, on la trouve dans le romantisme et le fascisme.
L’ultra nationalisme et sa dérive antisémite sont dès le départ combinés avec une mystique de la nature.
En conclusion, l’apparition des réalisations telles que la bombe atomique ne remet pas en cause la science ; la science ne fait pas disparaître la religion.
Question : le lien avec l’écologisme est l’avenir, pas le scientisme auquel l’anarchisme du passé est lié
Réponse : l’analyse de l’anti irrationalisme mais aussi de ce qu’on voit dans le fascisme ou le national-socialisme avant qu’il ne développe son horreur montre la nécessité de la vigilance.