IBÁÑEZ, Tomás. "Robert Pagès : A la croisée de la psychologie sociale et de la sensibilité libertaire"

Cahiers de psychologie politique N° 28 (janvier 2016).

psychanalysePAGÈS, Robert (Belmontet, Lot, 25 août 1919– Paris, 25 juillet 2007)IBÁÑEZ, TomáspsychologieIBÁÑEZ, Tomás

“On doit quand même dire que l’homme fut exceptionnel : ou plutôt, pour éviter tout risque de sanctification posthume, qu’il fut un homme hors normes. D’une puissance de langage, de clairvoyance, d’analyse et de force à la fois omniprésente et indéfinissable, qui ont fait de lui une des grandes figures de la Psychologie sociale française de l’après-guerre. Avec tous les contrepoints d’ombre dont résonne inévitablement cette puissance. Au meilleur sens du terme : ce fut un homme « singulier ». (Deconchy, J-P. 2007).
Lorsque je lui demandai une courte préface pour mon premier livre, Robert Pagès, enthousiaste et généreux comme à l’accoutumée, me fit cadeau d’un texte long de plus de vingt pages qui débutait ainsi : “Est-ce le “pouvoir” de l’amitié ? C’est une façon de parler. Toutes les façons de parler ne sont pas justes. Mais si c’est un pouvoir il est bien grand. Ce doit être un pouvoir magique.” Enchaînant sur les recherches qui avaient nourri ce livre, il ajoutait : “J’en ai vu naître il y a bien des années les premiers linéaments à l’articulation de la psychologie sociale et de la pensée politique. Et c’était d’emblée une part de notre rencontre.” (Pagès, R. 1983).
Ce fut bien ainsi, en effet, qu’eu lieu notre “rencontre”. C’était en janvier 1968 et il est vrai que dès le premier entretien pour pourvoir un poste de collaborateur technique au Laboratoire de Psychologie Sociale de la Sorbonne, le courant passa immédiatement entre nous. Une commune sensibilité libertaire, un intérêt partagé pour la problématique du pouvoir et pour la psychosociologie présidèrent à la naissance d’une longue amitié.
Si, aux dires de Pagès, le pouvoir de l’amitié est un pouvoir magique, cette année 1968 fut elle aussi une année tout à fait magique qui ne fit que renforcer les liens qui nous unissaient déjà. Travaillant à quelques vingt mètres d’une cour de la Sorbonne qui fut assaillie par la police dans l’après-midi du 3 mai, je ne pouvais que m’immerger dès les toutes premières minutes dans “les événements”. Robert Pagès n’hésita pas non plus à s’y plonger et, lorsque le 10 juin je fus “appréhendé” aux alentours de l’usine de “Renault-Flins” puis assigné à résidence dans un petit village de la Corrèze, son comportement fut tout à fait exemplaire.