PACO. "Visions de l’Espagne libertaire"

Guerre civile en Espagne (1936-1939)* bibliographiePACOart : affiches

1936-2006. Il y a 70 ans, l’Espagne vivait une révolution sociale, économique et culturelle sans équivalent. D’inspiration libertaire, elle fut l’une des plus radicales de tous les temps. Deux livres viennent apporter un regard nouveau sur cette période.

Deux ouvrages magistraux sur l’Espagne libertaire vont occuper une place de choix dans les bibliothèques. Le premier, Espagne 1936-1939, Les Affiches des combattant-e-s de la liberté, intéressera les militants, les historiens, mais aussi les passionnés d’arts graphiques.
L’ouvrage coordonné par Wally Rosell présente en effet deux cents affiches, timbres et cartes postales éditées par les organisations libertaires espagnoles (CNT, FAI, Mujeres Libres, FJIL, SIA...). Une superbe fresque en couleurs qui n’est qu’une petite partie de la production de l’époque. En moins de trois ans, on estime en effet que 3000 affiches différentes ont été imprimées et collées sur les murs de Barcelone, Madrid, Malaga, Valence, Bilbao... Près de dix millions d’affiches ont ainsi tapissé les villes espagnoles durant ces années troublées.
Le tome 2 couvre la période 1936-1975. Un livre d’art hors du commun.
Pour préparer le second tome, Ramon Pino et Wally Rosell ont pioché dans un trésor constitué par les affiches, cartes postales, timbres, journaux muraux, photomontages de la révolution libertaire espagnole. A ces perles rebelles, ils ont ajouté des documents datant de la « Retirada », des camps de concentration où les républicains antifascistes furent parqués, de la résistance antifranquiste après guerre. Les derniers documents retenus datent ainsi de 1975.
Le livre propose plusieurs niveaux de lecture. Les libertaires seront très émus en tournant les pages colorées de cette révolution unique. Les historiens trouveront des faits et des analyses qui éclairent cette période sujette à tant de distorsions. Enfin, quand on aime l’art et l’histoire de l’art politique, ce livre s’impose comme un ouvrage incontournable.
Quelles que soient les motivations du lecteur, il sera aidé dans son cheminement par une méthode et un mode d’emploi précieux. Chaque document est numéroté. Le nom de l’affichiste, de l’organisation éditrice, l’année de parution et le format sont mentionnés. Chaque sigle, anarchiste ou non (CNT, FAI, JJLL, SIA, UGT, POUM…), est décrypté et de courtes biographies présentent les artistes.
Bien plus qu’un livre d’images, l’ouvrage propose des articles critiques d’analyses graphiques, politiques et historiques. Ceux-ci concernent la résistance libertaire et républicaine, mais aussi la contre-révolution stalinienne ou même la production d’affiches fascistes.
Les auteurs s’arrêtent également sur les affiches de soutien à l’Espagne républicaine produites en France, en Angleterre, en Suède, aux Pays-Bas, aux USA, en Belgique…, ils dissertent sur la représentation du héros et de l’ennemi, sur le choix des couleurs dans les affiches militantes… Il est par ailleurs possible de suivre en images les congrès de la CNT et des Jeunesses libertaires, de saluer les réalisations sociales mises en œuvre par les anarchistes durant la guerre (hôpitaux, maternités et centres d’avortement, actions contre la prostitution…).
Des poings se serreront à la lecture des méfaits staliniens et des appels désespérés à l’unité que, malgré tout, les libertaires lançaient. « Les anarchistes vous invitent à la sérénité. Pensez que les socialistes du PSUC, les communistes du POUM, les anarchistes, tous les antifascistes mêlent leur sang sur les champs de bataille. Embrassez-vous comme des frères et cessez vos campagnes de dénigrement. Unité ! Unité ! Unité ! », martelaient les Jeunesses libertaires de Catalogne sur une affiche sans image. « Union dans l’action sinon le fascisme submergera le monde » reprenait, en 1938, une affiche française pour un meeting de Solidarité Internationale antifasciste.
L’exil est traité dans une longue chronologie qui commence en janvier 1939 et se termine le 20 novembre 1975 avec la mort de Franco la Muerte. Après la défaite républicaine, les affichistes ont suivi le cours des événements et passeront la frontière franco-espagnole. Epuisés, affamés, transis de froid, ils connaîtront les camps de concentration du Roussillon aux côtés de leurs camarades. Derrière les barbelés, ils illustreront de maigres périodiques tirés à quelques dizaines d’exemplaires, ils organiseront des expositions artistiques dans des baraquements transformés en Athénées… Même dans le redoutable camp de Morand situé, lui, en Algérie, les activités artistiques ne disparaîtront jamais totalement.
A partir de 1943, journaux, brochures et livres anarchistes refirent surface. Entre 1945 et 1961 (année où le gouvernement de De Gaulle interdira les publications en espagnol), plus de cent dix publications anars ont vu le jour en France, en Algérie, au Mexique, à Cuba, en Amérique latine, au Québec… Ces journaux favorisent la renaissance des arts graphiques (dessins satiriques, illustrations, caricatures…). Des écrivains et des scientifiques (Albert Camus, Octavio Paz, Jean Guéheno, Albert Schweitzer, Jean Rostand…) collaborent à certains titres. Jusqu’en 1972, des artistes (Georges Brassens, Léo Ferré, Catherine Sauvage, Raymond Devos, Paco Ibanez, Colette Magny, Georges Moustaki…) participeront à des spectacles de solidarité.
En fin d’ouvrage, on relira les paroles d’Albert Camus (Nos Frères d’Espagne, publié dans Combat le 7 septembre 1944) ou d’André Breton (Onze camarades condamnés à mort en Espagne : sauvez-les, publié dans Le Libertaire le 6 mars 1952), on regardera les affiches qui dénonçaient les crimes de Franco. Le militant anarchiste Salvador Puig Antich fut garrotté le 3 mai 1974. Ce qui fit dire à Cabu, à la Une d’un Charlie Hebdo, dessin de gros beauf à l’appui, « Les salauds sont en vacances en Espagne ».
Les familles des combattants assassinés mettent à jour des fosses communes pour faire hurler les vérités occultées par l’histoire officielle. A leur manière, Ramon Pino et Wally Rosell livrent une belle bataille pour la mémoire. Une mémoire qui nous rappelle que ces anarchistes d’Espagne menaient conjointement une guerre et une révolution, que ces anarchistes vaincus et maltraités dans des camps d’internement français poursuivront le combat antifasciste dans la Résistance. Une mémoire qui nous dit, avec une noire ironie, que les premiers soldats « français » qui ont libéré Paris en août 1944 ne parlaient qu’espagnol.
Ramon Pino et Wally Rosell, Espagne 1936-1975 – Les Affiches des combattant-e-s de la liberté, éditions Libertaires, 162 pages. 35 euros.