Germaine Berton, honorée par les surréalistes

art : courants : surréalismeARAGON, LouisBERTON, Germaine (1902 - ?)

Fabrice Magnone, "Le Libertaire (1917-1956), Autopsie d’un organe anarchiste :
Le 22 janvier 1923, l’anarchiste Germaine Berton avait tiré sur Marius Plateau, trésorier de la Ligue d’Action Française. Son geste, célébré par les surréalistes [1], avait également fait une très vive impression sur le jeune Philippe Daudet, fils de l’écrivain royaliste Léon Daudet. Il prit contact avec la rédaction du Libertaire sans révéler sa véritable identité. Les anarchistes n’ont en effet pas pour habitude de demander leurs papiers à ceux qui viennent vers eux surtout lorsqu’il s’agit de jeunes gens exaltés qui menacent de passer aux actes. Philippe Daudet, alors âgé de seulement quatorze ans mais qui en paraissait plus, aurait en effet confié des projets d’attentats à l’administrateur du Libertaire Georges Vidal.
Le jeune homme qui vient de fuguer rend visite le 24 novembre 1923 à Le Flaouter, un libraire anarchiste du Havre qui sert d’indicateur à la police. Alarmé par les déclarations enflammées de Philippe, il s’empresse de prévenir les services de la Sûreté Générale qui dépêchent une dizaine d’agents pour l’arrêter. Suicide ou bavure policière, on constate la mort de Philippe Daudet dans le taxi censé le conduire au commissariat. Apprenant la nouvelle, les animateurs du Libertaire qui se trouvaient en possession d’une lettre du jeune Philippe à sa mère choisissent de la publier. Ils profitent de l’occasion pour tirer une édition spéciale à 30 000 exemplaires.
Sa mort dans des conditions mal élucidées fit croire à Léon Daudet que son fils était victime d’un complot anarcho-républicain. Tandis que L’Action Française dénonce « l’Antifrance, auxiliaire de la sanglante anarchie », le premier numéro du Libertaire quotidien titre : « L’explication du suicide. Philippe Daudet voulait tuer son père » [2] ! Un procès s’engage entre L’ Action française et Le Libertaire qui profite un moment de cette publicité inespérée. Le tirage au troisième numéro atteint en effet 54 000 exemplaires."
L’article de Vidal, "La mort tragique de Philippe Daudet", paru dans Le Libertaire du 2 décembre 1923, suscite une lettre collective de onze surréalistes, qui écrivent : "Nous ne faisons pas partie de votre milieu, ce qui ne nous empêche pas d’admirer le courage dont vous faîtes preuve.
Nous sommes de tout coeur avec Germaine Berton et Philippe Daudet ; nous appréions à sa valeur tout véritable acte de révolte" [3]
Germaine Berton fait une tentative de suicide : elle écrit à la mère de Philippe Daudet :
"Si Philippe est mort pour moi aujourd’hui, je me tue pour lui". [4]
Aragon, qui a probablement célébré aec des anarchistes la libération de Germaine Breton, les fustige désormais car il juge qu’ils n’apprécient pas un suicide qui ne sert pas leur cause. Et il ajoute :
"Ils ne me laissent rien d’autre à faire qu’à me prosterner devant cette femme en tout admirable qui est le plus grand défi que je connaisse à l’esclavage, la plus belle protestation élevée à la face du monde contre le mensonge hideux du bonheur" [5]
De fait, les surréalistes vont célébrer Germaine Berton comme la première anti-héroïne surréaliste, celle qui pour Breton incarne "la Révolution et l’amour" [6].

Au centre, Germaine Berton, entourée de 28 surréalistes ou personnes proches, tous des hommes. Le texte est tiré de Baudelaire : "La femme est l’être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves".

Michel APEL-MULLER, Recherches croisées, Aragon/Elsa Triolet N°7, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2001.

[1La Révolution surréaliste, n°1, décembre 1924.

[2Le Libertaire, n°254, 4 décembre 1923.

[3Lettre parue dans Le Libertaire

[4Jean Maitron, Dictionnaire biographique, notice "Germaine Berton"

[5"Germaine Berton", La Révolution surréaliste No. 1 (1er décembre 1924).

[6Les membres du groupe surréaliste autour de Germaine Berton, La Révolution surréaliste, n° 1, décembre 1924