Les ressorts du terrorisme anarchiste et ses caractéristiques en France et aux marges du territoire national à la fin du XIXe siècle

terrorismeFrance. 19e siècleBOUHEY, Vivien

Cet article est tiré de The Oxford Handbook of the History of Terrorism, dir. par Carola Dietze et Claudia Verhoeven, copyright 2014 par Oxford University Press. Reproduit ici avec l’autorisation d’Oxford University Press.

L’assassinat du président de la République Sadi Carnot le 24 juin 1894 dans la ville de Lyon par l’anarchiste Caserio, relayé par les journaux dans tout le pays, a suscité alors une très vive émotion et soulevé nombre de questions que les historiens se posent encore. S’agissait-il d’un acte individuel [1], ou Caserio, un immigré italien, aurait-il été le bras armé d’une véritable Internationale noire avec à sa tête ce que certains indicateurs appellent à la fin du XIXe siècle une sorte de « comité directeur », qui aurait planifié de Paris ou de Londres des actions dont se seraient rendus responsables des exécutants disciplinés ? [2]Ces interrogations renvoient finalement à des questions d’ordre plus général sur la capacité d’organisation des anarchistes à la fin du XIXe siècle à une échelle locale, régionale, nationale et internationale, sur les ressorts possibles de l’action ainsi que sur les caractéristiques de ce terrorisme anarchiste.
Pour réfléchir à cette question, il est fondamental de rappeler que le mouvement anarchiste ainsi que le terrorisme anarchiste sont nés à la fin du XIXe siècle, et que cette naissance s’inscrit dans un certain contexte : la révolution industrielle ; des progrès techniques nombreux (transports plus rapides notamment) ; l’urbanisation et les migrations internationales ; l’essor de médias de masse. Plus particulièrement, il est nécessaire de rappeler que le terrorisme anarchiste est une des formes de la « propagande par le fait », théorisée dans les années 1870 par des socialistes antiautoritaires de différents pays autour de la Fédération jurassienne, cela alors que les socialistes autoritaires et antiautoritaires se déchiraient, que ces derniers s’interrogeaient sur les raisons des échecs successifs des révolutions de 1789, 1830, 1848 ainsi que sur l’échec de la Commune, que la « Grande Dépression » commençait à faire sentir ses premiers effets, que la dynamite venait d’être inventée par Alfred Nobel et que les nihilistes organisaient des attentats dans la Russie tsariste.

Le milieu anarchiste en France et aux marges du territoire national : un milieu cosmopolite, urbain et de plus en plus industriel

Au début des années 1880, les compagnons sont peu nombreux sur le territoire national et ils sont inégalement répartis [3]. En effet, il existe alors en France des foyers principaux d’anarchistes dans lesquels les militants peuvent avoir été une centaine, comme Lyon puis Paris, mais également des foyers secondaires, voire des marges ou de presque déserts anarchistes au sens où les géographes utilisent ces mots aujourd’hui, où ils ont bien souvent été moins d’une dizaine.
Leurs effectifs ainsi que le nombre de foyers anarchistes augmentent par la suite, surtout à partir du milieu des années 1880 jusqu’au début des années 1890 [4] (pour atteindre le chiffre de deux cents militants dans les foyers les plus importants, mais souvent de moins de vingt dans les foyers secondaires), une augmentation qui s’explique sans doute en partie par les effets de la « Grande Dépression » ainsi que par le prosélytisme des premiers compagnons. Ces effectifs diminueront ensuite avec la répression engagée en France contre eux, surtout à partir des années 1893-1894.

Parmi ceux que les sources nous désignent comme des « anarchistes », on peut alors distinguer schématiquement trois catégories d’individus au début des années 1880. Tout d’abord les militants : ceux qui ont une bonne connaissance de ce qu’est l’anarchisme, assistent aux réunions, facilitent la diffusion des écrits circulant sous le manteau, soutiennent les camarades dans le besoin, passent à l’action violente si nécessaire ; ces derniers animent les groupes et coordonnent l’action. Ensuite, les adhérents aux théories anarchistes : dans la mesure où il n’y a pas de carte d’adhérent à un « parti anarchiste », on considèrera que, pour identifier ces adhérents dans les sources, les critères les plus fiables sont d’une part l’assistance aux réunions privées et publiques des groupes, et d’autre part la lecture des journaux du mouvement, l’adhésion n’impliquant pas la participation active à la lutte contre l’Etat bourgeois. Enfin, les sympathisants anarchistes, qui soit approuvent les théories des compagnons et s’y intéressent sans souscrire pour autant à l’action telle qu’elle est engagée sous sa forme la plus violente ni pénétrer de quelque façon que ce soit les structures du mouvement, soit ne retiennent que la dimension violente de théories anarchistes qu’ils ne comprennent pas toujours (et qu’ils ne s’efforcent pas de comprendre) et qui ne s’impliquent pas non plus dans la vie du mouvement, un mouvement dont les contours sont finalement diffus.

Ce milieu anarchiste français, d’un point de vue sociologique, est un milieu complexe et cosmopolite, pour l’essentiel urbain [5]
On rencontre en effet parmi ceux qui le composent – militants, adhérents ou sympathisants – des Français bien sûr, mais aussi un certain nombre d’étrangers plus ou moins actifs politiquement, présents plus particulièrement dans les grandes villes comme Lyon, Paris, ou Marseille, où de nombreuses nationalités sont représentées (Belges, Anglais, Russes, Autrichiens, Allemands, Suisses, Italiens, Espagnols…), mais également dans certaines villes des départements frontaliers (par exemple des Italiens à Nice ou à Vienne dans l’Isère ; des Espagnols à Narbonne ; des Belges et des Anglais à Lille ; des Suisses à Besançon...) qui sont d’autant plus nombreux ou moins nombreux au fil du temps que la répression est féroce ou s’apaise dans les Etats dont ils sont originaires ou que la répression est plus féroce ou s’apaise en France. De même, on constate l’existence de groupes d’anarchistes français installés plus ou moins temporairement dans les grandes villes des Etats frontaliers : à Genève, Bruxelles ou Londres…, des communautés d’exil dont certaines ont été récemment étudiées [6] qui s’étofferont au moment du vote des « lois scélérates ».
Ces hommes (car il s’agit surtout d’hommes) ne sont pas seulement les artisans qu’ont décrits les historiens du mouvement anarchiste français jusqu’à aujourd’hui. Ce sont tantôt des jeunes étrangers déracinés et célibataires comme une partie des anarchistes italiens de Nice, tantôt des d’hommes mûrs et mariés comme certains compagnons du département de l’Isère ou du Nord. Parfois, ce sont des artisans, mais ce sont également des ouvriers d’usine, voire de presque bourgeois ; bref, il n’existe pas un anarchiste type, et en conséquence, sociologiquement (même s’il faut souvent nuancer cette idée à l’échelle locale), à l’échelle du territoire national, le mouvement est fragmenté. Cette fragmentation s’accentue d’ailleurs au fur et à mesure que l’on avance dans les années 1890, que le mouvement est traversé par de nouveaux débats et qu’il renouvelle ses adhérents et ses militants. Toujours urbain, il compte alors schématiquement : 1. Des « jeunes » anarchistes et des « vieux » anarchistes (ce sont les adjectifs utilisés par les indicateurs lorsqu’ils veulent évoquer le renouvellement des générations que connaît le mouvement au tournant des années 1880-1890) qui ne s’entendent pas toujours sur l’action ni sur les idées 2. Une population toujours plus industrielle tentée par des formes d’action collective, voire des alliances avec d’autres révolutionnaires, dont certains abandonneront le mouvement au cours de la répression des années 1892-1894 pour pénétrer les autres groupes socialistes 3. Une minorité déviante – surtout des jeunes entrés dans les structures du mouvement à la fin des années 1880 – utilisant parfois les théories anarchistes pour satisfaire des appétits personnels sous le couvert d’une action politique 4. Enfin, un certain nombre d’artistes ou de lettrés intéressés par la radicalité des positions anarchistes et par une esthétique de la violence, qui se rencontrent dans des salons à la mode. Et on assiste à des tensions graves entre ces populations anarchistes à tel point que les indicateurs de police ont pu, un moment, penser que le mouvement allait voler en éclats.

Le mouvement anarchiste : une forme d’organisation politique cosmopolite et transnationale articulée pour l’essentiel sur le réseau urbain

Cette fragmentation n’empêche toutefois pas le mouvement d’exister en France et au-delà du territoire national, d’abord, comme l’a montré pour l’essentiel Gaetano Manfredonia [7], parce que depuis les années 1880, on assiste, grâce au développement de la propagande écrite et orale, à la construction d’une identité anarchiste qui assure son unité. Cette identité se fonde 1. Sur un ensemble d’idées 2. Sur l’appropriation par les compagnons d’un certain nombre de références historiques propres à l’histoire des luttes politiques et du mouvement ouvrier en France et à l’étranger 3. Sur l’adhésion des anarchistes en France et à l’étranger à un certain nombre de symboles 4. Sur une mémoire proprement anarchiste se structurant autour d’épisodes héroïques s’étant déroulés en Italie, aux Etats-Unis ou en Espagne... 5. Sur un langage et sur un imaginaire qui leur sont propres 6. Elle repose enfin sur une réelle solidarité fondée sur un même rêve de justice, sur une même volonté de défendre le mouvement contre la répression, ainsi que sur un même désir de détruire partout l’autorité sous ses trois formes (politique, économique et morale), une solidarité qui ignore les frontières et qui s’exprime entre autres en France à travers le compagnonnage anarchiste apparu dans les années 1880, perceptible par exemple à l’occasion de « soirées de famille » auxquelles assistent des anarchistes de toutes nationalités ; à travers l’existence de caisses de secours alimentées par des fonds provenant de groupes anarchistes français et étrangers, et également à travers des réseaux d’entraide transfrontaliers. Et la répression engagée par les autorités contre les compagnons en France à partir de 1892 surtout renforcera encore cette solidarité agissante à l’échelle nationale et internationale témoignant des multiples facettes de sociabilités anarchistes [8]

Par ailleurs, dans les années 1880, le mouvement repose sur des individus libres de leur engagement qui, soit refusent d’entrer dans des groupes, soit au contraire décident de se retrouver, le plus souvent sur la base des affinités, à l’intérieur de groupes plus ou moins structurés, mais qui la plupart du temps, pour les nécessités de la lutte, dans les groupes ou hors des groupes, sont en contact les uns les autres via des réseaux [9]
Ainsi ces anarchistes français et étrangers tissent – et ce bien au-delà du territoire national – des liens épistolaires et entretiennent des relations d’individu à individu ou de groupe à groupe grâce à des compagnons qui, à l’échelle d’un foyer anarchiste, peuvent appartenir à différents groupes en même temps, ou qui, à l’échelle du territoire national et par-delà les frontières, se déplacent d’un groupe à l’autre. Ils peuvent encore se rencontrer de manière informelle pour les plus impliqués d’entre eux, lors de congrès ou lors des grands procès anarchistes auxquels ils assistent. Surtout, ils sont en relation grâce à un enchevêtrement de structures créées en fonction de leurs besoins à l’échelle locale, régionale, voire nationale ou internationale, plus ou moins rigides, plus ou moins visibles et en recomposition constante, qui permettent à certains d’entre eux d’être au cœur de réseaux. C’est par exemple le cas de ce que nous avons appelé les « groupes forum » [10] dans notre thèse, dans lesquels les membres de différents groupes – français et étrangers – peuvent se retrouver librement et débattre. C’est également le cas à l’échelle de ces mêmes centres, voire de la région, du territoire national et au delà :
1. De ce que certains indicateurs de police appellent des « comités », plus ou moins stables ayant vocation à rassembler des délégués des groupes (sur la base du volontariat, de manière informelle) français et étrangers, pour les faire coopérer plus ou moins temporairement afin d’éditer une brochure ou un journal, de préparer une manifestation, de secourir des compagnons dans le besoin ou tout autre type d’action.
2. D’associations de malfaiteurs réunissant parfois des compagnons appartenant à plusieurs groupes.
3. De ligues ayant des objectifs déterminés, qui, concrètement, tendent à fédérer de manière informelle au plan local mais parfois régional, voire national, un certain nombre de groupes anarchistes.
4. Des journaux français et étrangers du mouvement paraissant en France et à l’étranger (dont les sièges sont des points de repère physiques à l’intérieur des villes ou localités pour les anarchistes), qui jouent le rôle de centrales d’information pour les compagnons ou relaient les initiatives des individus, des groupes, des comités, des ligues…, et qui centralisent une bonne partie de l’argent destiné à la propagande.
Cette organisation est également bipartite. Ainsi coexistent au sein du mouvement d’une part des structures émergées, visibles, et d’autre part un monde plus secret, les deux mondes s’interpénétrant. Pour ce qui est des structures émergées du mouvement, elles permettent entre autres à ceux qui ne connaissent pas les compagnons de prendre contact avec eux (il s’agit de groupes ayant adopté des noms, se réunissant régulièrement à des adresses connues – réunions annoncées dans les journaux –, disposant parfois d’un local, voire d’une bibliothèque, et fonctionnant éventuellement grâce à une caisse commune alimentée par des cotisations plus ou moins régulières) et d’entreprendre les formes d’action les plus « avouables » d’un point de vue pénal : propagande écrite, orale, organisation de manifestations. Pour ce qui est du deuxième monde, plus secret et qui n’est pas déconnecté du premier, il apparaît à peine dans les rapports de police et soulève tous les types de fantasmes de la part des contemporains, comme celui de l’Internationale noire mûrissant le complot. C’est le monde des groupes « fermés » dans lesquels il faut être invité ou coopté ; des « conciliabules discrets » (pour reprendre le vocabulaire des indicateurs) ; des correspondances codées adressées à des pseudonymes et envoyées à divers intermédiaires avant qu’elles ne parviennent à leurs vrais destinataires, puis finalement détruites ; peut-être également des appartements conspiratifs (la question peut se poser à Paris au moment des attentats des Bons-Enfants et du Terminus). C’est ce dernier monde qui, dans le cadre de la répression que connaît le mouvement au début des années 1890, devient alors l’essentiel du mouvement tandis que les structures émergées se dissolvent, que les journaux disparaissent, que les réunions publiques cessent. C’est lui qui est le support d’actions moins avouables.
Les archives départementales montrent par ailleurs qu’à l’échelle du territoire national, voire à échelle internationale, ce mouvement est en grande partie polarisé et hiérarchisé d’une manière informelle. Polarisé dans la mesure où les groupements situés dans ce que nous avons appelé « les foyers anarchistes secondaires » ou les « presque déserts anarchistes » regardent vers un ou plusieurs « foyers principaux » (qui peuvent se trouver à l’étranger comme Londres au début des années 1890) dont ils dépendent pour ce qui est de la propagande écrite ou orale (brochures, demandes de conférenciers…), des foyers anarchistes secondaires ou des « presque déserts anarchistes » qui, à l’étranger ou en France, pour conserver une terminologie de géographes, sont, par rapport aux foyers principaux qui sont des centres anarchistes donnant de grandes impulsions du point de vue de l’activité militante à l’échelle du territoire national, des périphéries anarchistes plus ou moins dépendantes de ces centres dans lesquels il se passe peu de choses. Le mouvement est par ailleurs hiérarchisé d’une manière informelle pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il est animé par un certain nombre de militants de différentes nationalités qui, au sein des groupes locaux ainsi qu’à l’échelle régionale ou nationale, sont porteurs d’une autorité naturelle tenant à leurs qualités intellectuelles, leur talent d’orateur, leur charisme ou à leur activisme. Ensuite, à cause de la place occupée par ces militants dans les structures du mouvement : à Paris, c’est par exemple le cas d’une quinzaine de compagnons, qui, en 1887, appartiennent à plusieurs groupes en même temps, animent des comités, disposent de carnets d’adresses parfois très longs et sont à l’origine, seuls ou à plusieurs en fonction de leurs affinités, d’un certain nombre d’actions [11]. Parce que les groupes ou les isolés, tournent leurs regards vers ces meneurs, qui sont des référents et qui militent la plupart du temps dans ces grands foyers anarchistes dont ils attendent des orateurs ou des brochures, cela à une échelle régionale, nationale, voire internationale. Enfin, parce que ces derniers, grâce à leur autorité naturelle ou à leur place dans ces structures, parviennent à disposer de moyens qui leur permettent de mettre en œuvre la propagande, ou encore parce qu’ils ont plus facilement accès à la parole anarchiste via des journaux qu’ils contrôlent parfois (le terme n’est pas trop fort), et qu’ils tiennent ainsi une bonne place dans la propagande orale ou écrite, voire jouent parfois un rôle pour ce qui est de la propagande par le fait, cette hiérarchie informelle n’impliquant pas pour autant, bien sûr, des relations de subordination entre compagnons dont les rapports, toujours de gré à gré, sont le résultat d’affinités électives [12].
Enfin, ces structures, qui témoignent elles aussi de l’existence de sociabilités anarchistes [13], s’articulent pour l’essentiel sur le réseau urbain. Sur le territoire national en effet, les grands foyers anarchistes correspondent en général aux villes les plus importantes. C’est là que l’on rencontre les leaders du mouvement, que les groupes sont naturellement les plus nombreux (il y en a sans doute plus d’une trentaine à Paris au début des années 1880 par exemple [14]), et c’est également là qu’ils sont les plus actifs puisque le dynamisme de la propagande orale et de la propagande écrite, entre autres, résulte en grande partie de l’activité des meneurs, de la concertation au sein du milieu anarchiste et d’une certaine émulation entre groupes [15]. Du coup, ces grandes villes sont également des centres anarchistes du point de vue de l’action, donnant de grandes impulsions à l’activité militante à l’échelle du territoire national au moins. Pour ce qui est des foyers anarchistes secondaires, ils se rencontrent dans les villes moyennes, dans lesquelles il y a rarement plus d’un groupe anarchiste, dépendant en partie pour ce qui est de la propagande écrite ou orale (brochures, demandes de conférenciers…) d’un ou plusieurs foyers principaux et tentant de diffuser les idées du mouvement vers les espaces ruraux qui sont les marges anarchistes. Par ailleurs, à l’intérieur du territoire national, c’est dans les villes grandes ou moyennes que les anarchistes étrangers ont pu constituer de vraies bases arrière [16] pour leurs activités militantes comme les anarchistes espagnols à Narbonne ou Paris lors de la tentative d’attentat contre le roi Alphonse XIII et le président de la République en 1905, tandis qu’à l’extérieur du territoire national, les anarchistes français se sont retrouvés dans des grandes villes comme Genève, Liège ou Londres pour y préparer, en ordre dispersé ou non, des actions contre la République bourgeoise (peut-être de Londres par exemple, les attentats des Bons-Enfants et du Terminus).

Le mouvement anarchiste : une forme d’organisation internationale terroriste agissant dans l’espace urbain ?

Aux racines du terrorisme anarchiste : la propagande par le fait

Il est ici absolument nécessaire de rappeler que l’action engagée par les compagnons de 1880 à 1914 a été protéiforme (réunions publiques ; manifestations ; publication de tracts, d’ouvrages et de journaux ; action syndicale ; création de colonies anarchistes ; réflexion dans le domaine de l’éducation et tentatives concrètes pour faire évoluer l’enseignement) et que le terrorisme, n’a été pour les anarchistes qu’un moyen de lutte parmi d’autres, très discuté d’ailleurs au sein du mouvement et pratiquement abandonné en 1894 après l’assassinat de Sadi Carnot. Il est également nécessaire de rappeler que le terrorisme n’est lui-même qu’une dimension de ce que l’on a coutume d’appeler la « propagande par le fait », concept devenu de manière abusive synonyme de « terrorisme » pour certains compagnons eux-mêmes. Enfin, il faut souligner que si le mot « terrorisme » est chargé d’une « connotation émotionnelle négative » [17], il ne s’agit pas ici de juger les attentats anarchistes, qui pour faire simple, du point de vue capitaliste, sont la plupart du temps considérés comme une aberration politique et sociale, alors que côté anarchistes, ils sont en général perçus, dans le cadre d’une guerre asymétrique entre exploiteurs et exploités, comme des actes révolutionnaires que légitiment l’objectif révolutionnaire ainsi que la terreur d’Etat qui s’exerce contre le mouvement à partir de 1890 surtout. Nous n’aborderons pas la question ici d’un point de vue moral mais technique : du terrorisme en tant que mode d’action.
La propagande par le fait est née d’une réflexion au sein de milieux internationaux menée par les socialistes antiautoritaires dans le cadre surtout de la Fédération jurassienne, entre le Jura bernois et les montagnes neuchâteloises. Elle naît d’une prise de conscience : « l’insuffisance de la propagande purement théorique » évoquée à Undervillier en août 1873 lors d’une assemblée générale des sections internationales du Jura bernois [18], et elle prend réellement consistance dans les années 1876-1878, au cours desquelles les antiautoritaires font deux constats. Premier constat : la collusion existant entre le monde de la presse et le monde du pouvoir et de l’argent leur interdit l’accès aux colonnes des grands journaux, seuls capables de diffuser largement leurs théories ; deuxième constat : l’ouvrier n’a ni le temps, ni les moyens intellectuels pour saisir les théories socialistes abstraites et complexes [19]. D’où l’intérêt d’une propagande en acte, d’une « propagande par le fait » [20] infiniment supérieure à l’idée abstraite parce qu’il la matérialiserait, la rendant accessible directement à la classe prolétarienne accablée de travail [21].
La propagande par le fait ne devait être en somme qu’une « leçon de chose » anarchiste [22], et comme l’écrit Jean Maitron, elle aurait pu se développer (ce qui a d’ailleurs été le cas plus tardivement) sur un plan « tout pacifique » (« sociétés d’assurance, magasins coopératifs, ateliers communistes, etc... ») [23]. Comme le suggère un article de La Révolte, elle aurait également pu s’exprimer à tous les moments de la vie des compagnons sous la forme de « transgressions » plus « modestes » et « circonscrites », « les faits anarchistes n’ayant » comme l’écrit Daniel Colson « pas besoin d’être spectaculaires » [24] ni nécessairement illégaux. Mais d’entrée, les leaders antiautoritaires placent cet acte sous le signe de la rupture violente et spectaculaire avec la bourgeoisie puisqu’une étude attentive de l’action révolutionnaire a depuis longtemps enseigné aux anarchistes que, chaque fois qu’il y eut conciliation avec la bourgeoisie, le prolétariat se condamna à l’impuissance [25]. L’acte sera illégal, et parce qu’illégal, devra être réalisé de telle manière qu’il ne pourra être confondu avec une action déviante relevant du droit commun. Aussi, les théoriciens anarchistes refusent tout d’abord que cet acte prennent la forme de l’assassinat politique, dont la condamnation est sans appel parce qu’il est susceptible de multiples interprétations, qu’il risque de discréditer son auteur, et plus grave, ses idées [26] ; en revanche, ils plébiscitent la tentative insurrectionnelle de Bénévent organisée entre autres en avril 1877 par Carlo Cafiero et Errico Malatesta, deux leaders de la Fédération italienne, revendiquée a posteriori par les anarchistes comme le premier essai de propagande par le fait : en avril 1877, une trentaine de militants armés avaient fait irruption dans deux villages des montagnes de la province italienne de Bénévent, où ils avaient fait des discours révolutionnaires, brûlé les actes de propriété d’un village et distribué aux miséreux le contenu de la caisse du percepteur. Il s’agissait donc d’une action illégale n’ayant pas fait de victimes ; d’un acte conçu sous le seul angle insurrectionnel ; d’un acte politique désintéressé au service d’une cause considérée comme juste ; enfin et surtout, d’un acte de propagande tendant à matérialiser les théories anarchistes en réalisant l’Idéal exemplaire dans un espace clos.
Les antiautoritaires auraient pu, pour ce qui est du versant illégal de la propagande par le fait, en rester au fait insurrectionnel qui n’est pas un fait terroriste. Mais l’idée que les leaders anarchistes et une partie des militants se font de ce que doit être la propagande par le fait évolue au cours des trois années suivantes pour deux raisons. D’abord, à cause de l’exemple donné par les nihilistes russes (le 24 janvier 1878, Véra Zassoulitch tente d’assassiner avec un pistolet le général Trépov tandis que le 1er mars 1881, la Narodnaya Volya parvient à assassiner à l’aide d’une bombe le tsar Alexandre II), un exemple qui a un profond retentissement au sein du mouvement anarchiste [27]. Ensuite, parce que face à l’action des nihilistes en Russie et aux tentatives d’assassinat de Guillaume 1er, Alphonse XII ou Humbert 1er en 1878, la répression féroce engagée par le gouvernement russe et par les Etats concernés à l’encontre des mouvements d’extrême gauche conduit les anarchistes à l’idée qu’il faudra un jour ou l’autre se défendre, sinon contre-attaquer : en 1873 déjà, on pouvait lire dans le Bulletin de la Fédération jurassienne que la réaction « universelle et universellement armée » « appellerait probablement sous peu le prolétariat socialiste européen à la réaction également armée », « cette situation exceptionnelle » imposant aux révolutionnaires des « devoirs exceptionnels » [28]. C’est donc sans nul doute l’action des nihilistes russes et son retentissement conjugués à l’exaspération des antiautoritaires face aux persécutions dont ils sont l’objet, eux et leurs frères en révolution, qui influencent les leaders du mouvement quant à leur réflexion sur ce que doit être la propagande par le fait au cours des années 1878-1881. L’assassinat politique, qui ne recueillait pas l’assentiment des théoriciens de l’anarchisme [29], devient légitime dans L’Avant-Garde fin 1878 [30] ; le « programme » adopté au congrès socialiste révolutionnaire international de Londres en juillet 1881 [31], qui reconnaît officiellement la propagande par le fait comme moyen d’action, pousse les « organisations » mais aussi les « individus » à agir : il les appelle à porter leur action sur le « terrain de l’illégalité » en ayant spécialement recours aux moyens « techniques et chimiques » qui ont « déjà rendu des services à la cause révolutionnaire » (ce recours aux moyens techniques ainsi qu’à la chimie pouvant être d’ailleurs considéré de la part des ouvriers comme une volonté de s’approprier de la science, au service des bourgeois jusqu’alors, pour la mettre au service du prolétariat en en faisant une arme de guerre [32]). Quant aux objectifs de cette forme d’action, ils sont désormais triples : elle reste un acte réalisant concrètement les théories anarchistes pour l’éducation des masses ; elle participe d’une stratégie révolutionnaire puisque les anarchistes espèrent, par de telles actions répétées, allumer l’étincelle de colère qui déclenchera la grande révolution ; elle devient enfin en 1881 un moyen « d’attaque et de défense » aux mains du mouvement anarchiste. Et parce que, pour certains leaders anarchistes, faire de la propagande par le fait, c’est désormais avant tout en 1881, pour un individu ou une organisation, commettre un acte de violence politique (cela par exemple sous la forme d’assassinats de personnalités ou d’attentats à l’explosif) à des fins notamment d’intimidation et de terreur avec ici pour objectif à long terme la fin du monde capitaliste, elle devient bien un acte terroriste. Et au début des années 1880, des leaders du mouvement comme Pierre Kropotkine appellent les compagnons à passer à l’action sous cette forme dans les journaux (« La révolte permanente par la parole, par l’écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite [...], tout est bon pour nous qui n’est pas la légalité » [33]), en assignant de nombreuses cibles aux futurs terroristes (attentats contre la classe bourgeoise visée dans ses intérêts et dans sa vie, assassinats d’hommes politiques, destructions d’églises...), tandis que certains journaux du mouvement mettent dans les mains de tout un chacun les moyens de passer à l’action violente, comme La Révolution Sociale, qui, sous la rubrique « Etudes scientifiques », livre de véritables recettes pour fabriquer des bombes. Un certain nombre de meneurs du mouvement théorisent donc une nouvelle forme d’action révolutionnaire en laissant le soin à des militants conscients mais également à des individus ayant plus ou moins bien compris les théories anarchistes (certains n’ont retenu de ces théories que l’acte violent et libérateur) de passer à l’action, ce qui ne laisse pas d’inquiéter certains compagnons dès cette époque.
Le premier âge du terrorisme anarchiste : la mise en pratique
Au cours des années 1880, de très nombreux attentats ont été considérés par les autorités comme des attentats anarchistes, à tort ou à raison, car très souvent leurs auteurs ne furent pas retrouvés [34]. Ces attentats s’insèrent, pour être compris, dans un contexte politique et économique précis et ils sont réalisés par des hommes dont il faut suivre le cheminement personnel quand on le peut pour comprendre leurs motivations [35].
Ici, pour une partie de ces attentats, nous avons affaire à des actes de révolte individuels tels que les journaux anarchistes des années 1880 les appellent de leurs vœux : ce sont ceux d’Emile Florion, Paul-Marie Curien, Louis Chaves ou Charles Gallo, qui opèrent (sauf Gallo) avec des armes de poing. La plupart d’entre eux sont des hommes relativement jeunes au moment des faits, des hommes qui ont bien souvent été malmenés par la vie : ce sont en général des individus instables, indisciplinés. Tous sont des isolés qui ont agi en « électrons libres » et qui ont obéi à des motivations personnelles, mais tous se considèrent comme des hommes politiques, ont fréquenté – parfois assidûment – les groupes révolutionnaires ou lu des journaux socialistes et anarchistes en étant sensibles – en raison de leur situation personnelle déjà – aux appels à l’action violente. Quant à leurs actes – exception faite de l’attentat de Gallo – ils n’ont pas été préparés de longue date : ce sont des actes spontanés et en grande partie improvisés dirigés contre une société capitaliste par trop injuste dont eux-mêmes s’estiment victimes une fois de trop (en général, c’est en effet à la suite de leur renvoi par leurs employeurs respectifs qu’ils ont décidé de passer à l’action). En revanche, dans les années 1880, d’autres attentats – une minorité – tous exécutés à l’aide des « moyens techniques et chimiques », paraissent avoir été préparés plus froidement par de petits groupes décidés et organisés agissant de manière autonome au sein du mouvement et ayant concerté secrètement leur projet, cela dans les grandes villes pour ce qui est des attentats qui restèrent dans les mémoires : c’est le cas sans doute de la campagne d’attentats à l’explosif perpétrés contre des bureaux de placement et des commissariats parisiens à partir de 1888, dont les auteurs ne furent jamais arrêtés, mais également des attentats lyonnais (attentat à « l’Assommoir » en octobre 1882 [36] et attentat contre le Palais de Justice de Lyon en 1887), ces derniers posant aux contemporains, notamment à la police et à certains journalistes, la question de l’existence de vrais réseaux terroristes ayant des ramifications à l’étranger ainsi que celle d’éventuels « complots internationaux » : voire de l’existence d’une sorte d’Internationale noire centralisée et hiérarchisée avec des donneurs d’ordres et des agents exécuteurs, une Internationale qui n’a, comme nous l’avons montré, jamais existé [37]. Il est à noter à ce propos que ce que la police perçoit à l’époque comme une conspiration internationale, les militants anarchistes le perçoivent, eux, comme l’internationalisation des luttes ouvrières [38].
En tous cas ce terrorisme anarchiste des années 1880 présente différentes caractéristiques. Pour ce qui est des acteurs des attentats, il s’agit soit d’individus isolés soit de groupuscules clandestins autonomes, soit de réseaux. Pour ce qui est des attentats, ce sont des actions qui s’insèrent dans le cadre d’une lutte inégale entre les exploiteurs, qui disposent de la force armée, et les anarchistes. Ce sont par ailleurs des actions soumises à interprétations et à critiques, qui n’existent vraiment dans l’espace public que par les médias – ce dont ces terroristes, qui se servent de leurs procès comme d’une tribune révolutionnaire, sont conscients –. Et c’est pour cette raison : 1. Qu’ils sont tentés d’utiliser des explosifs 2. Qu’ils prennent pour cibles des personnalités connues ou des symboles de l’Etat bourgeois 3. Enfin que ces attentats sont réalisés pour la plupart d’entre eux dans l’espace urbain et notamment dans la capitale, symbole du pouvoir, où ils attirent davantage l’attention des journalistes (et où par ailleurs les propagandistes peuvent passer plus inaperçus), où ils seront susceptibles de faire plus de dégâts matériels ainsi que de victimes potentielles, et où donc, un des effets recherchés (terroriser) sera démultiplié. Ce sont encore des actes qui, parce que justement leur portée politique est le résultat de leur relecture par les médias (dont les médias anarchistes), seront susceptibles d’être mal interprétés, critiqués, et risqueront en définitive de faire plus de mal que de bien au mouvement : dans la presse « bourgeoise », ils deviendront en effet souvent des actes perpétrés par des fous inconscients, tandis qu’au sein du milieu anarchiste lui-même, certains attentats seront perçus comme le résultat de l’action d’agents provocateurs à la solde du ministère de l’Intérieur, actes participant d’un vrai « complot bourgeois » cette fois-ci ayant pour seule fin de réprimer les menées d’extrême gauche en supprimant les libertés, et ce afin de consolider le pouvoir en place. Il s’agit également d’actions qui font peu de victimes, et, à l’exception du serveur de « l’Assommoir », pas de victimes « innocentes » (du point de vue de la lutte des classes), sans doute parce que les propagandistes restent prudents face à des actes qui ne sont pas toujours bien lisibles pour l’opinion publique ; parce que la réaction n’impose probablement pas encore aux compagnons français, de leur point de vue, des « devoirs exceptionnels » ; enfin parce que les terroristes se sont sans doute refusés – consciemment ou non – à des actes qui les couperaient des masses parce qu’ils pourraient paraître odieux ou/et parce qu’ils feraient des victimes au sein des prolétaires eux-mêmes dont ils se présentent comme les défenseurs. Ces actions répondent par ailleurs à plusieurs motions et à plusieurs objectifs :
1. Elles sont des cris de désespoir et de révolte [39] poussés par des hommes politiques exaspérés par les injustices dont ils souffrent eux-mêmes et dont souffrent les prolétaires en général.
2. Elles doivent forcer des sociétés ou des gouvernements à remédier à des situations perçues comme injustes et réaliser un peu de la révolution (faire par exemple disparaître les bureaux de placement à Paris).
3. Elles doivent créer, pour la classe exploitante, un climat d’insécurité.
4. Elles doivent véhiculer un message (c’est le sens littéral de l’expression « propagande par le fait ») : aussi les cibles choisies sont-elles dans la plupart des cas des cibles symboliques générant des messages (détruire l’autorité politique à travers des commissariats, un palais de justice ou l’assassinat d’un ministre ; détruire la bourgeoisie et mettre fin à l’exploitation à travers l’assassinat d’un bourgeois pris au hasard, le dynamitage d’un restaurant bien fréquenté comme « l’Assommoir », la destruction d’un temple du capitalisme comme la Bourse ou le dynamitage des bureaux de placement ; s’attaquer à l’autorité sous sa forme morale à travers le dynamitage d’une Eglise).
5. Enfin, elles participent d’une stratégie : en effet, même si l’ensemble des actions engagées par les anarchistes contre la République dans les années 1880 n’a été ni coordonné ni planifié par une organisation centralisée [40], la multiplication de ces attentats, par effet d’entraînement, parce qu’ils contribuent à l’éducation de travailleurs qui se résoudront eux aussi à ce type d’action (dans une lettre testament publiée par L’Hydre anarchiste par exemple, Louis Chaves appelait tous les anarchistes à imiter son acte [41]) doit conduire la République – puis ultérieurement les autres régimes « bourgeois » – à leur perte.
Les années 1890 : le deuxième âge du terrorisme anarchiste ou l’âge de la maturité
Pour ce qui est du terrorisme anarchiste au début des années 1890, il s’inscrit dans un contexte en partie neuf : d’une part une répression brutale, surtout à partir de 1890, perçue comme injuste par les compagnons, qui pousse nombre d’entre eux sur le chemin de l’exil tandis que la plupart des anarchistes étrangers sont expulsés, et d’autre part le scandale de Panama, qui éclabousse la Chambre des députés en déconsidérant les politiques français [42].
Un certain nombre d’entre eux s’inscrivent dans la continuité des attentats des années 1880. Pour certains comme ceux de Léauthier, Marpeaux, Célestin Nat, Vaillant et Léon Boutheille, ce sont des actes individuels et spontanés contre la société capitaliste, généralement improvisés, accomplis par des compagnons qui ont bien souvent été malmenés par la vie et sur lesquels les effets de la propagande anarchistes se sont exercés plus ou moins profondément, cela avec des armes de poing, leur instrument de travail (un tranchet pour Léauthier), ou à l’aide de bombes. Pour d’autres comme les attentats ardennais, ce sont des actes résultant probablement d’une concertation au sein de petits groupes autonomes ayant différents objectifs : faire de la propagande ; terroriser ; réaliser un peu de la révolution, et qui s’inscrivent dans une stratégie au sens où nous l’avons entendue ci-dessus.
Toutefois, des changements sont à l’œuvre au début des années 1890 dans la façon dont certaines actions sont menées. Tout d’abord, l’esprit même dans lequel certains attentats sont conçus change, car le début des années 1890 voit la naissance d’actes ayant pour principal objectif de venger les compagnons victimes de la répression et de terroriser les serviteurs de l’Etat en la personne de magistrats ou de policiers ayant eu affaire aux anarchistes. Ce type de propagande par le fait surtout terroriste et vengeresse (réponse anarchiste à ce que ces derniers considèrent comme une forme de terreur d’Etat dirigée contre eux, ce qui légitime leur action) est né de l’affaire Dardare, Decamp et Léveillé, trois anarchistes arrêtés à la suite d’une confrontation avec la police lors du 1er mai 1890 à Paris : lorsque dans la nuit du 9 au 10 juin 1890 – soit un mois après l’affaire du 1er mai 1890 – des inconnus essaient de faire sauter le commissariat de Levallois situé 41, rue de Rivay, c’est en effet un signe fort à l’adresse du commissaire Guilhem, qui a fait procéder aux arrestations de ces anarchistes ; le 7 mars 1892, c’est le même message que Ravachol et ses comparses souhaitent délivrer aux autorités, quand ils tentent de déposer une bombe devant la porte du même commissariat [43], et c’est faute de pouvoir dynamiter ce commissariat que le petit commando décide que « l’on attenterait aux jours de monsieur le conseiller Benoît, qui avait présidé les Assises de la Seine le 28 août 1891, et de monsieur le substitut Bulot, qui avait prononcé le réquisitoire dans la même affaire et qui « avait demandé la peine de mort contre Decamp, qui est père de famille » [44]. De même, lorsque le compagnon Meunier dynamite le restaurant Véry le 25 avril 1892, il s’agit pour lui et les anarchistes qui l’aident de venger Ravachol, qui a été dénoncé par Lhérot, le garçon de café du restaurant, et de mettre en garde les mouchards qui s’intéressent au mouvement et s’apprêteraient à suivre l’exemple de Lhérot (on parlera désormais dans le milieu de « véryfication » pour qualifier ce type d’action punitive). Et l’attentat d’Emile Henry au café Terminus obéit encore pour partie au désir de vengeance. S’il a frappé, comme il le dit lui-même à son procès, c’est entre autres pour venger les anarchistes, victimes de terribles représailles après l’attentat de Vaillant à la Bourse [45]. De même les attentats du faubourg Saint-Martin et de la rue Saint-Jacques en février 1894, s’ils sont anarchistes, sont de la même veine, puisqu’ils visent le commissaire Dresch, celui-là même qui a arrêté Ravachol, et le commissaire Belovino, un temps en poste à Saint-Denis, qui, lui aussi a eu affaire aux anarchistes [46]. Et dans leur ensemble, de 1893 à 1894, les compagnons soutiennent d’ailleurs ces actes de vengeance : en 1892, l’anarchiste Etiévant de Clichy est partisan d’un attentat contre l’ambassade d’Espagne pour venger la mort des anarchistes de Xéres [47] ; en 1893, La Révolte proclame que le « sang des martyrs » est « une semence de révoltés » [48] ; selon un rapport de mai 1894, « le mot d’ordre est aujourd’hui dans les sphères anarchistes : conspirer dans l’ombre, venger les martyrs de la cause, et propagande par le fait ». [49]. Par ailleurs, il faut noter que les anarchistes morts guillotinés incitent eux-mêmes les compagnons à suivre leur exemple, comme Vaillant, qui meurt courageusement et dont la dernière parole fut : « Vive l’anarchie ! Ma mort sera vengée ! » [50]. Avec ces attentats « nouvelle formule », la dimension éducative de l’acte s’efface derrière le désir de vengeance tandis que le lien avec les masses exploitées tend à se rompre : en effet les propagandistes ne se font plus vraiment les porte-paroles des exploités et d’un message de liberté qui se veut universel, mais pratiquement exclusivement ceux d’un mouvement qui réclame vengeance.
Par ailleurs, en réponse à ce qu’ils considèrent comme une répression brutale et injuste, les terroristes anarchistes durcissent leurs actions au début des années 1890. Les attentats sont plus nombreux que dans les années 1880. Ils continuent à être réalisés pour l’essentiel dans l’espace urbain, et notamment dans la capitale (n’oublions pas que le mouvement anarchiste est, en France, pour l’essentiel, un mouvement urbain). Les engins sont dans l’ensemble plus puissants dans les années 1890 et plus perfectionnés (la fabrication de bombes parfois complexes permettant par ailleurs à certains de ces propagandistes de montrer qu’ils sont des ouvriers qualifiés capables des travaux les plus dangereux [51]) tandis que les cibles choisies par les propagandistes sont plus ambitieuses : magistrats, Chambre des députés, président de la République lui-même. Par ailleurs, les destructions d’édifices sont plus importantes et les attentats font davantage de victimes, cela au prix même du sang ouvrier versé dans le restaurant Véry ou du sang d’anonymes attablés dans le café Terminus, une violence aveugle ici dans le cadre d’une lutte sans merci, qu’Emile Henry justifie à son procès : « Vous frappez en bloc, nous aussi nous frappons en bloc » [52]. Et là encore, au fil de ces attentats, le lien avec les masses exploitées tend à se rompre puisque le prolétariat que les anarchistes disent défendre paie dans le sang le prix de la lutte contre la classe exploiteuse, tandis que s’installe, au moins dans la capitale, un climat de terreur car ces attentats bénéficient d’une couverture médiatique exceptionnelle [53].
Enfin, dans les années 1890 bien plus que dans les années 1880 (mais est-ce un effet d’archives), un certain nombre d’attentats paraissent avoir été le résultat d’une vraie concertation au sein de groupes ou de réseaux à l’échelle nationale voire internationale, tandis que les terroristes paraissent également avoir bénéficié d’une solidarité agissante au sein du mouvement pour trouver des points de chute, de l’argent, des comparses prêts à l’action, se procurer des « recettes », des « ingrédients ». Concertation et solidarité agissante sont ainsi au fondement de l’action du groupe dont Ravachol, anarchiste de Saint-Etienne, est l’homme de main, par exemple au moment de la préparation et de la réalisation de l’attentat du boulevard Saint-Germain. Elle sert peut-être les desseins d’Emile Henry [54] (ressources financières ; points de chute ; complicités, allers-retours Paris-Londres), qui a peut-être appartenu à une des bandes d’anarchistes cambrioleurs qui attire le plus l’attention de la police à l’époque (des hommes a priori bien insérés dans le milieu anarchiste français à Londres, et pour certains, qui participent à la propagande écrite qui s’y fait) : ces derniers opèrent de Londres sur le continent et rapportent de ces vols avec effraction des sommes importantes qui sont réutilisées en partie pour les besoins de la propagande, et ils sont peut-être pour certains d’entre eux impliqués dans une série d’attentats retentissants sur le continent, tous possiblement liés (affaire de la rue des Bons-Enfants, Terminus, affaire Pauwels). Solidarité agissante et concertation facilitent peut-être encore les desseins de Caserio, alors qu’il est hébergé par des anarchistes français au cours de son séjour dans l’hexagone juste avant l’attentat contre Sadi Carnot [55]. Et elles permettent, par delà les frontières, ce que les sources policières présentent comme de vrais « complots », comme celui organisé plus tardivement par un groupe d’anarchistes espagnols contre le Président de la République française et Alphonse XIII en 1905 ou comme l’attentat de Liège, perpétré par un groupuscule français en 1908. Là encore, ce qui pour les uns est la preuve de la conspiration est pour les autres le témoignage de l’internationalisation de la lutte…
Ces attentats des années 1890 partagent donc un certain nombre de caractéristiques dans le cadre d’une lutte qui s’est durcie entre compagnons et pouvoir bourgeois : ils sont plus nombreux et plus sanglants, parfois bien mieux préparés, et cela quelquefois de l’étranger vers la France ou de la France vers l’étranger. Pour certains d’entre eux, ils sont avant tout, de la part de compagnons qui se considèrent comme persécutés par l’Etat bourgeois, un moyen « d’attaque et de défense ». Egalement pour certains d’entre eux, ils sont réalisés par des propagandistes qui se présentent comme des martyrs de la cause et vont jusqu’à justifier une violence aveugle. En fait ils témoignent du repli du mouvement sur lui-même ; ils contribuent à son isolement sur la scène politique d’autant plus que la violence politique anarchiste semble faire le jeu de l’Etat qui réprime et supprime les libertés ; ils éloignent les masses exploitées de compagnons qui se défendent avant de les défendre et qui, selon la presse « bourgeoise », voire socialiste, seraient davantage des fous, des fanatiques ou des criminels de droit commun que des hommes politiques responsables : du point de vue de la propagande, bien loin de provoquer le « grand soir révolutionnaire », ils l’éloignent, à la fois parce qu’ils ne rallient par les masses mais les horrifient le plus souvent (les propagandistes par le fait sont alors en effet en décalage avec les attentes des masses), parce qu’ils provoquent une répression toujours plus violente, et enfin parce qu’ils paraissent finalement inutiles puisque la disparition du plus haut personnage de l’Etat en 1894, Sadi Carnot, n’a pas fait avancer la cause anarchiste, bien au contraire, et n’a en rien affaibli le pouvoir en place : ils mènent donc les compagnons à une impasse, ce qui explique l’abandon progressif de cette forme d’action par les compagnons après l’assassinat de Sadi Carnot, ce d’autant qu’on constate l’entrée au sein du mouvement, au fil du temps, d’une population toujours plus industrielle, tentée par des formes d’action collective comme la grève, l’action au sein des syndicats : des formes d’action auxquelles ont appelé certains leaders du mouvement comme Kropotkine dès la fin des années 1880 [56].
Conclusion
Le terrorisme anarchiste (que nous avons abordé d’un point de vue technique et non sous l’angle moral) s’inscrit dans un contexte politique, économique, technique et culturel particulier. Il s’ancre dans un mouvement politique au sein duquel une réflexion originale sur l’action révolutionnaire s’est progressivement fait jour, mouvement dont le rapport à la République a évolué après 1890. Il est porté par une forme d’organisation originale (dans le sens le plus large que l’on puisse donner au mot « organisation »), souple, apparue quasiment sans contrainte dans les années 1880 et évoluant dans les années 1890. En France, il s’articule pour l’essentiel sur le réseau urbain et est un maillon d’une forme d’organisation politique transnationale. Cette forme d’organisation originale permet en partie l’action – dont l’action terroriste d’autant plus difficile à parer qu’elle n’émane pas d’une sorte de comité directeur central donnant des ordres à des exécutants disciplinés. Elle n’est donc pas une organisation terroriste dans la mesure où les attentats ne sont pas téléguidés par un comité central et où ces derniers ne font pas l’unanimité, loin de là à partir de 1895.
Au sein du mouvement, les acteurs de ces attentats sont tantôt des désespérés qui agissent de manière spontanée et pratiquement improvisée, tantôt de presque professionnels déterminés qui ont mûrement préparé les attentats ; et parmi ces terroristes, certains sont de vrais fanatiques de la cause sociale prêts à mourir en martyr. Ils sont le fait d’hommes politiques, tantôt d’isolés, tantôt de groupuscules clandestins autonomes ou/et des réseaux transnationaux. Quant à l’action dans sa forme, elle présente plusieurs caractéristiques. Il s’agit d’actes politiques illégaux et violents (assassinats, attentats à l’explosif ...), qui participent d’une stratégie. Ce sont des actes qui doivent avoir un impact psychologique hors de proportion avec les effets physiques produits, et qui, pour exister dans l’espace public, doivent être médiatisés, d’où l’importance de la cible (symbolique, servant de générateur de message), du lieu (la ville), et, pour l’anarchiste arrêté, d’un éventuel procès. Ces actes ont plusieurs objectifs : véhiculer un message et terroriser, cela à terme pour permettre l’avènement d’un monde neuf. En fonction de ces objectifs, ces attentats ont été plus ou moins sanglants, participant parfois d’une violence aveugle, le degré de cette violence étant en partie lié à la rigueur de la répression.

[1Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Paris, F. Maspero, 1975, tome 1, 485 p.

[2J. Berthoud, « L’attentat contre le Président Sadi Carno, Spontanéité individuelle ou action organisée dans le terrorisme anarchiste des années 1890 » in Les Cahiers de l’histoire, tome XVI, 1971, p. 58-65.

[3Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République (1880-1914), préface de Philippe Levillain, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 491 p., p. 23 sqq. Pour travailler sur le nombre, la répartition ainsi que la sociologie des anarchistes, nous nous sommes appuyés sur les rapports d’indicateurs suivant parfois au jour le jour l’activité des groupes ainsi que sur dossiers individuels et les listes d’anarchistes conservés aux Archives Départementales (série M), à la Préfecture de police de Paris (P. Po. BA) ainsi qu’aux Archives Nationales (série F7), dont l’inventaire exhaustif est en ligne sur le site internet : Raforum (https://archives.cira-marseille.info/theses//spip.php?rubrique59).

[4Ibid., p. 163 sqq

[5Ibid., p. 27 sqq. et p. 171 sqq.

[6John Merriman, Dynamite Club. L’invention du terrorisme à Paris, traduit de l’anglais par Emmanuel Lyasse, 2009, Tallandier, 256 p. et Constance Bantman Anarchismes et Anarchistes en Grande Bretagne 1880-1914 : échanges, représentations, transferts, thèse sous la direction de François Poirier, Université de Paris XIII Villetaneuse, 2007, 730 p.

[7Gaetano Manfredonia, Les Anarchistes et la Révolution française, Paris, Editions du Monde Libertaire, 1990, 314 p. ; La Chanson anarchiste en France des origines à 1914, Paris, Montréal, L’Harmattan, 1997, 445 p. ; « Persistance et actualité de la culture politique libertaire », in Les Cultures politiques en France (dir. Serge Berstein), Editions du Seuil, novembre 1999, p. 243-283.

[8Constance Bantman « Sociabilités anarchistes. Le cas des anarchistes français d’Angleterre (1880-1914) » http://www.univ-paris13.fr/CRIDAF/TEXTES/BntmnSocAnar.pdf, 2004.

[9Vivien Bouhey, « Les réseaux anarchistes à la fin du XIXe siècle. Courte tentative de caractérisation », https://archives.cira-marseille.info/raforum/spip.php?article5988, 2010.

[10Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République… op. cit., p. 35.

[11Ibid., p. 47.

[12Vivien Bouhey « Y a-t-il eu un complot anarchiste contre la République à la fin du XIXe siècle ? » (https://archives.cira-marseille.info/raforum/spip.php?article5632), 2009.

[13Constance Bantman, « Sociabilités anarchistes… », op. cit.

[14Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre…op. cit. , p. 45.

[15Ibid., p. 93 sqq. et p. 241 sqq.

[16Voir la définition que nous donnons à « base arrière » in Vivien Bouhey « Y a-t-il eu un complot... », op. cit.

[17Ariel Merari : « Du terrorisme comme stratégie d’insurrection » in Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Al Qaida, Paris, Bayard, 2006, 718 p., p. 24.

[18Bulletin de la Fédération jurassienne n°18 du 10 août 1873.

[19Ibid. n°31 du 5 août 1877.

[20La paternité du néologisme est attribuée par James Guillaume à Costa, qui fit une conférence sur la « propagande par le fait » à Genève le 9 juin 1877 (James Guillaume, L’Internationale, Documents et souvenirs, Paris, P.-V. Stock, 1910, tome 4, XX-336 p., p. 206).

[21Bulletin de la Fédération jurassienne n°28 du 15 juillet 1877 et Avant-Garde du 17 juin 1878.

[22Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste…, op. cit., tome 1, p. 409.

[23Ibid., tome 1, p. 77.

[24Daniel Colson, « La Science anarchiste », http://refractions.plusloin.org/spip.php?article262, 1997.

[25Article de la « Résolution de l’assemblée d’Undervillier » reproduit dans le Bulletin de la Fédération Jurassienne n°19 du 17 août 1873.

[26L’Avant-garde du 17 juin 1878.

[27Jean Grave, Le Mouvement Libertaire sous la IIIe République : souvenirs d’un révolté, Paris, Les Œuvres représentatives, 1930, 311 p., p. 210.

[28Bulletin de la Fédération Jurassienne n°16 du 27 juillet 1873.

[29L’Avant-Garde du 3 novembre 1877.

[30Ibid., 2 décembre 1878.

[31Le Révolté n°11 du 23 juillet 1881.

[32Entretien avec Ronald Creagh du 19 mars 2010. Sur les rapports entre le terrorisme anarchiste et la science, voir : Daniel Colson : « La Science anarchiste... », op. cit.

[33Le Révolté n°22 du 25 décembre 1880.

[34Archives Nationales F7 12514.

[35Vivien Bouhey, Le Mouvement anarchiste contre… op. cit., p. 136 sqq. Ici, pour ce qui est des sources nationales, l’essentiel des informations dont nous disposons sur les propagandistes par le fait émane à nouveau des rapports de police conservés aux Archives Départementales, aux Archives Nationales, et surtout à la Préfecture de police de Paris. Les journaux anarchistes peuvent encore nous renseigner ponctuellement ainsi que les mémoires des compagnons. Quant à la Gazette de Tribunaux, elle est notre principale source pour suivre les procès anarchistes.

[36Dans la nuit du 22 au 23 octobre à Lyon, une bombe attribuée aux anarchistes explose au restaurant du théâtre Bellecour surnommé "L’Assommoir". Un employé trouve la mort dans l’explosion.

[37Vivien Bouhey, « Y a-t-il eu un complot... », op. cit.

[38Entretien avec Ronald Creagh du 19 mars 2010.

[39Sur l’articulation entre la parole et l’action terroriste anarchiste, voir l’ouvrage de Caroline Granier, Les Briseurs de formule. Les écrivains anarchistes en France à la fin du XIXe siècle, Coeuvre-et-Valsery, Ressouvenances, 2008, 470 p.

[40Vivien Bouhey : « Y a-t-il eu un complot... », op. cit.

[41L’Hydre anarchiste n°3 du 9 mars 1884.

[42Le scandale de Panama désigne une affaire de corruption liée au percement du canal de Suez, qui éclaboussa plusieurs hommes politiques et industriels français durant la Troisième République et ruina des centaines d’épargnants.

[43La Gazette des Tribunaux du 27 avril 1892.

[44Ibid.

[45Ibid., 28 et 29 avril 1894.

[46Préfecture de police de Paris (P. Po.) B.A./141-142.

[47P. Po. B.A./77, rapport du 15 février 1892.

[48La Révolte, n°11, du 23 novembre au 1er décembre 1893.

[49P. Po. B.A./79, rapport du 14 mai 1894.

[50Jean Maitron, op. cit., tome 1, p. 235.

[51Entretien avec Ronald Creagh…

[52La Gazette des Tribunaux du 29 avril 1894.

[53Gérard Chaliand et Arnaud Blin, op. cit., p. 153.

[54Le livre de John Merriman ne permet pas de savoir s’il s’agit ou non d’un acte individuel.

[55Voir les travaux de J. Berthoud déjà cités.

[56Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre...op. cit., p. 89.