REIMERS, Otto, 1902-1984

Allemagne.- Histoire de l’anarchismeREIMERS, Otto (1902-1984)

Biographie de l’anarchiste allemand Otto Rheimers, un travailleur qui fit campagne sans relâche pour
le mouvement anarchiste tout au long du règne du régime nazi, ainsi que dans les années d’après guerre.

Otto Reimers est né à Grambek dans la région du Schleswig-Holstein située dans le nord de l’Allemagne,
le 17 septembre 1902. Issu d’une famille de 6 enfants au début de la première guerre mondiale, et son
père ayant été appelé au combat, il commence à travailler pour les fermiers locaux et les travailleurs
forestiers, afin d’augmenter la maigre pension de guerre accordée à la famille. Quelques temps plus tard il
accepta un travail d’ouvrier du bâtiment, et continua dans ce secteur toute sa vie.
En 1920 à l’âge de 18 ans, il commença à s’engager dans le mouvement des travailleurs/euses antiautoritaires.
Il y rencontra un ouvrier véritablement impressionné par les expériences du syndicat
américain Industrial Workers of the World (IWW), qui affirmait que tous les travailleurs/euses
manuelLEs et intellectuelLEs devraient s’unir dans une seule organisation, qui s’établirait à la fois sur le
lieu de travail et au niveau politique. Otto négocia alors pour rejoindre l’AAUD (Union Générale des
Travailleurs), et commença à se rendre aux réunions de la branche locale à Goelzow, où l’on débattait
jusqu’au bout de la nuit. Chaque journal de gauche était lu, analysé et discuté, et des débats animés
avaient lieu à propos des Martyrs de Chicago, du mouvement de la Modern School de Francisco Ferrer,
ou encore des écrits de l’anarchiste australien Pierre Ramus.
En 1921 une scission apparaît au sein de l’AAUD, entre ceux qui pensent qu’un parti révolutionnaire est
nécessaire, lequel agirait à la gauche du Parti Communiste (KPD), et ceux considérant que ce parti, le
KAPD, devrait rejoindre le Komintern. Otto, suivi de toute la branche de l’AAUD de Hambourg, prit le
parti de ceux, comme Otto Ruhle et Franz Pfemfert, qui s’élevaient contre l’affiliation au Komintern et
contre une organisation unitaire. Ce nouvel organe, le AAU-E (Allgemeine Arbeiter-Union -
Einheitsorganisation, Union Générale des Travailleurs-Organisation Unitaire), approcha le syndicat
anarcho-syndicaliste FAUD en 1923 et 1924, de telle manière que Franz Pfemfert put participer aux
congrès internationaux de l’Association Internationale des Travailleurs, en tant que délégué de la AAU-E.
À Hambourg en 1926, Otto, suivi de Karl Matzen, Karl Roche et Ernst Fierung, défendaient l’idée d’un
bloc anti-autoritaire, une idée en premier lieu préconisée par Ruhle. Anarcho-syndicalistes, communistes
anarchistes, anarchistes individualistes ainsi que unionistes de l’AAU-E, se retrouvaient au restaurant
Planeth. Ils s’y rassemblaient tous les vendredis, sous couvert du Bloc Révolutionnaire Anti-Autoritaire,
et y organisaient des réunions où Rudolf Rocker, Karl Roche, Pierre Ramus, Ernst Friedrich, Bertold
Cahn, Franz Pfemfert et Winkler prenaient la parole. Parfois jusqu’à 300-400 personnes étaient présentes.
Lors d’une série de 6 réunions, Rocker fit des discours sur le nationalisme et la culture. Celles-ci
devinrent si populaires qu’on dut les déplacer de la petite salle du haut à la grande salle du rez-dechaussée.
Otto, conjointement avec son ami Paul Schloess, organisait la vente du journal anti-autoritaire
Proletarischer Zeitgeist, diffusé par la branche de Zwickau de l’AAU-E. Celui-ci développait des
perspectives de plus en plus anarchistes. Dans le même temps Otto développa ce qu’il appelait les
Ergänzungkurs (cours complémentaire), dont le but était de lutter contre l’esprit autoritaire de la classe
ouvrière, à l’aide de la psychologie individuelle et d’un enseignement libertaire.
En 1927 trois scissions étaient apparues au sein de l’AAU-E : le Spartacusbund, rassemblé autour des
branches locales de Berlin avec Franz Pfemfert, Johannes Broh et Oskar Kanehl, et s’inspirant de l’ancien programme du comité communiste ; le Proletarischer Zeitgeist (PZ), fortement influencé par
l’anarchisme ; et enfin le groupe rassemblant les branches locales de Francfort de l’AAU-E avec Otto
Ruhle.
Ces divisions empêchaient l’AAU-E de fonctionner, mais le Zeitgeist pouvait continuer, sa structure
souple lui permettant de s’adapter pendant la nouvelle période d’illégalité mise en place par les nazis.
Le PZ avait déjà pris ses précautions en 1932. Un appareil duplicateur avait été monté, qui pouvait
imprimer une publication petit format de 12 pages, Mahnruf, qui paraissait presque chaque mois et était
distribué à tous les groupes du PZ. En 1934 la publication cessa à cause de l’apathie générale au sein de
la classe ouvrière, effrayée par les camps de concentration.
Otto fut dispensé de guerre à cause de son travail dans l’industrie mécanique. En effet avec
l’augmentation des bombardements alliés sur Hambourg, Otto réparait les chemins de fer aériens ainsi
que les abris souterrains. Les amis et camarades d’Otto issus du PZ, Fiering, Zinke et Kaminski, furent
assassinés par les nazis à la fin de la guerre, mais Otto lui-même réussit à s’enfuir après avoir été arrêté.
Le 5 mai il distribua les premiers tracts d’après-guerre à Hambourg, à propos desquels plusieurs centaines
de personnes débattirent. Il appela les communistes ayant survécu à former un mouvement unifié avec les
sociaux-démocrates et les anarchistes, lequel serait anti-capitaliste et anti-fasciste. Il affirmait que cela
était nécessaire au regard de la situation désastreuse du mouvement allemand des travailleurs (Willy
Jelinek partageait un autre point de vue, rejetant au contraire toute collaboration avec les communistes ou
les sociaux-démocrates). Les dirigeants communistes y étaient opposés et malgré les efforts de Reimers,
ce fut une tentative avortée. Auparavant, avant l’annonce de la mort d’Hitler, il avait édité des tracts
dénonçant les atrocités se déroulant dans les camps de Buchenwald et de Belsen, appelant même à la
vengeance.
Les survivants du PZ, et ils étaient seulement quatre, essayèrent de réorganiser le groupe de Hambourg en
1945. Le premier Mahnruf fut publié le 20 mai 1945, et à partir de septembre 1945 l’organisation fut
légalisée dans la zone d’occupation britannique. Leur croissance était cependant limitée. En 1946 la
Fédération Unitaire de la Construction Démocratique était pourtant créée, et en tant qu’un de ses
membres Otto essaya de développer un socialisme spécifiquement libertaire au sein de la fédération. En
mars 1947 les anglais autorisèrent enfin la constitution d’une Fédération Culturelle, mise en place par
Reimers et Langer, autre survivant de l’anarchisme d’avant-guerre. Le groupe prit le nom de Fédération
Culturelle des Socialistes Libres et Antimilitaristes. Il disposait d’un bureau, et publia 11 bulletins
pendant l’année, établissant des liens avec d’autres militants dans cinq villes, et correspondant avec des
camarades dans 17 pays.
Reimers continua à travailler inlassablement afin de rester en contact avec des initiatives anarchistes
issues de la base. Il collabora au journal Die Freie Gesellschaft (La Société Libre), qui fut publié par des
survivantEs anarcho-syndicalistes en Allemagne de l’Ouest de 1949 à 1953. À partir de 1955 jusqu’en
1959 il publia la version allemande du Bulletin de la Commission des Relations Internationales (CRIA)
de l’Internationale anarchiste, et fonda son propre magasine Information (1955-1962). En 1959 il fut l’un
des principaux organisateurs de la conférence anarchiste de Neviges, qui aboutit à la création d’une Ligue
des socialistes libres et anarchistes. En 1969 avec Walter Stoehr il fonda le journal Neu Beginnen
(Nouveau Départ), mais comme celui-ci portait le même titre que celui d’un syndicat, il fut rebaptisé
Zeitgeist en souvenir de l’ancien PZ. En 1978 Zeitgeist cessa sa publication en diffusant un dernier
exemplaire spécial au format livre. Il resta proche du magasine anarchiste Akratie (absence de pouvoir)
publié à Basel en Suisse par Heiner Koechlin, auquel il contribuait de manière occasionnelle.
À partir des années 1970 Otto établit des contacts avec des militants anarchistes de la nouvelle génération
afin de les faire profiter de son expérience.
En décembre 1983 Margret, sa femme et camarade depuis de longues années, mourut. Elle avait participé
à toutes les aventures journalistiques et était elle-même une militante de choc.
Otto lui survécut seulement un an. Ses derniers écrits furent publiés dans le magasine Schwarzer Faden
(Le Fil Noir), auquel il légua sa collection des écrits du poète Oskar Kanehl, un camarade proche de
Franz Pfemfert au sein de l’AAU-E. Ceux-ci furent par la suite publiés dans un livre à propos de Kanehl
et Georg Grosz.
Il mourut le 22 octobre 1984 à Laufenberg dans la région du Bade Würtemberg.
Nick Heath