BRETON, Roland. "Parcours politique des surréalistes 1919-1969".

Compte-rendu de l’ouvrage de Carole Reynaud-Paligot, Parcours politique des surréalistes 1919-1969. CNRS Éditions, 1995, Paris, 339 p.

BRETON, André (1896/02/18) - (1966/09/28). Poète surréalisteart : courants : surréalismeTROTSKI, Léon (1879-1940), trotskistes et trotskismesPartis communistesTAILHADE, Laurent (1871-1919). PoèteSTALINE, Iosif Vissarionovitch (1879-1953)BRETON, Roland (1931 - ). Géographe, historien et politologue, spécialiste de géolinguistiqueARAGON, LouisBRETON, Roland, Jules Louis (Paris, 1/11/1931 - 6/7/2016)

À part le groupe surréaliste, il est peu d’exemples, dans l’Histoire, d’un aussi petit nombre d’hommes ayant, de leur vivant, exercé une si vaste et profonde influence sur la pensée de l’humanité entière. Comment ces hommes, si féconds parce que si attentifs et sensibles à toutes les manifestations de l’esprit, ont-ils eux-mêmes subi ou écarté les influences qui nous circonviennent tous, pour prendre position et intervenir dans les débats publics, descendre dans la rue ? Comment ce groupe, qui veilla à sauvegarder toujours son autonomie et sa cohérence de pensée et de comportement, voulut-il avoir partie liée avec les formations politiques de son temps ?
Carole Reynaud-Paligot répond à ces questions dans un ouvrage attractif et brillant, condensant sa thèse de doctorat d’Histoire, et décrivant ce parcours politique des surréalistes 1919-1969, qui est une trajectoire éclatante au ciel de notre siècle.
Individuellement, les membres de cette génération, née à l’aube du siècle, baignaient déjà dans une atmosphère où la contestation sociale, philosophique, artistique, politique était des plus vives et revêtait une coloration libertaire qui ne pouvait échapper aux regards les plus lucides. L’auteur nous rappelle (p. 11) comment André Breton enfant avait été marqué de façon ineffaçable par l’envol des drapeaux noirs, plus encore que par la mer flamboyante des drapeaux rouges, ou par les lettres de feu sur une tombe de granit proclamant Ni dieu ni maître. Ou par " Anarchie ! ô porteuse de flambeaux ! " de Laurent Tailhade. Tandis que les autres futurs membres du groupe, sans se référer aux mêmes images, avaient bien été traversés d’influences analogues.
Pour eux, le premier choc collectif fut leur participation forcée à l’énorme et inepte boucherie de 14-18, acceptée passivement ou activement par les États, les opinions, la majorité des intellectuels, voire du mouvement socialiste. Puis, bien sûr, la Révolution russe.
Après un essai infructueux, en 1920, d’adhésion de Breton et Aragon au parti socialiste (p. 30), les surréalistes cheminent au côté des anarchistes avec qui pourtant une distanciation s’opère, encore inexpliquée 25 ans plus tard, empêchant toute fusion organique (p. 36) entre eux. Sans doute car étaient apparus le mythe de l’État ouvrier et l’idéalisation du parti bolchevik et du marxisme.
Ainsi, à partir de 1925, intervient une certaine "éclipse libertaire" : la sensibilité libertaire du mouvement s’atténue au profit d’une "mystique bolchevique" " (p. 42). D’où, cette année-là, l’engagement bien connu du groupe au côté du PC, suivi de l’adhésion individuelle de cinq de ses membres en 1927 pour quelques mois au moins. Mais les réticences fondamentales de la direction du PC, concomitantes à la prise du pouvoir total par Staline, rapprochent les surréalistes de l’opposition trotskiste. Pourtant, en 1930, le Second Manifeste du surréalisme se démarque de cette opposition, tandis que les surréalistes essayent de jouer, au congrès des écrivains de Kharkov, la carte de l’appui de Moscou qui admettra le surréalisme dans la ligne de la " littérature prolétarienne ". Malgré l’adoption en 1932 du "réalisme socialiste", en 1934 le congrès des écrivains de Moscou tolère encore le surréalisme, ainsi qu’en 1935, à Paris, de façon très discrète, un congrès international des écrivains...
Mais la situation des surréalistes est devenue intenable et, deux mois après, c’est la rupture publique : le groupe dénonce le culte idolâtre de Staline et "le processus de régression rapide qui veut qu’après la patrie ce soit la famille qui, de la Révolution russe agonisante, reste indemne ". Une page d’histoire est tournée. Mais Carole Reynaud-Paligot s’efforce d’éclairer ces dix ans de collaboration non dépourvue d’ambiguïté à l’égard du stalinisme.
Pour elle, il y avait, au départ, chez les surréalistes un projet stratégique
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