Grèves de Chine

Chinesyndicalismemouvement ouvriergrèvepoliceSOMMERMEYER, Pierre(1942 - )Entreprises. Clarks Entreprises. Timberland Entreprises. Wal-Mart Entreprises. Kodak Entreprises. Samsung ACFTU (All China Federation of Trade Union) Entreprises. CNOOC : China National Offshore Oil Corporation

Une histoire de chaussures
Timberland ou Clarks, vous connaissez ? Ces chaussures et bien d’autres sont produites dans une entreprise du sud de la Chine, à Donguang, dans la province du Guangdong. Cette usine porte le doux nom de Stella. En avril dernier il y eut des affrontements nocturnes au cours d’une manifestation où un millier d’employés de cette usine avait fait l’affront de réclamer le paiement de six semaines de travail. Cinq d’entre eux ont été arrêtés et condamnés pour émeute. Ils auraient causé pour 150 000 yuans (15 000 €) de dégâts dans l’usine. Ces employés de ce qu’il convient d’appeler des « sweatshops » usines à sueur… sont des jeunes dont l’aîné a 21 ans et le cadet 16. Leur peine ? Jusqu’à trois ans et demi de prison ! Ils font partie de ceux que l’on appelle les travailleurs migrants de l’intérieur. Il est bon de rappeler que les officiels chiffrent de 90 à 100 millions cette population flottante.
Le salaire de base dans cette usine de chaussures est de 30 centimes de l’heure. Si l’on tient compte des 30 heures supplémentaires mensuelles, un ouvrier doit gagner glorieusement 80 € par mois.
Aux dernières nouvelles transmises par le site China Labor Watch, les ouvriers arrêtés et condamnés ont été libérés le 1er janvier. Il semblerait que cette soudaine clémence soit due aux efforts tant des groupes de pression internationaux, de la presse que des démarches des multinationales mises en cause en vue d’apaiser le climat social dans l’entreprise. Il est probable que dans le cas de ces dernières les groupes de pression de consommateurs américains soient pour quelque chose dans leur démarche : menace de boycott ou contre publicité.

Dans le textile

Dans le Shaanxi, une province centrale, une grève a été déclenchée le 14 septembre 2004 dans une usine textile, ou sont employées essentiellement des femmes. Elle a duré sept semaines.
Il y aurait 6 500 employés.
L’entreprise en question appartenait à l’Etat avant de passer sous contrôle privé. Les nouveaux propriétaires, établis à HongKong, Londres et New York, veulent revenir sur les termes des contrats salariaux précédant leur arrivée.
Le site web « China Labour Bulletin » rapporte que des banderoles sont installées autour de l’usine portant des slogans tels que : « Nous voulons survivre » ou « Rendez-nous l’argent pour lequel nous avons travaillé ».
Devant la porte de l’usine, un groupe de plus de deux cent grévistes campe 24h sur 24 pour contrôler les entrées et sorties.
En fait, le plan des nouveaux patrons est de licencier tout le monde avec une prime d’ancienneté équivalent à un mois par année de présence et de réembaucher sur de nouvelles bases et sans ancienneté, avec cerise sur le gâteau une période d’essai de six mois. On comprend dans ce cadre l’intérêt de notre Medef national pour ce genre d’exemple.
La force publique, un millier de policiers armés de canons à eau, est intervenue le 18 septembre mais a été forcée de reculer devant la résistance des ouvrières, sans avoir pu utiliser ses armes.
Le pouvoir civil qui semblait frappé d’atonie est vite revenu à sa pratique du bâton.
Des militants syndicalistes, une vingtaine, ont été détenus par la police depuis une quinzaine de jours du fait de leur implication dans la grève. On ne connaît pas les raisons légales. D’autres sont recherchés et sont invités à se rendre sous peine de poursuite pour délits criminels.
Le 20 octobre, alors que l’ordre du gouvernement de faire un black-out sur ce qui se passait dans l’usine courait toujours, des envoyés officiels font irruption à la télévision locale afin de mettre publiquement les ouvriers en demeure de cesser leur grève. Quelques jours auparavant, des journalistes chinois avaient été arrêtés et leurs films confisqués.
Dans le même temps, des négociations ont été entreprises, usant de la carotte et du bâton, les nouveaux patrons sont arrivés à leur fin. Il semblerait que l’accord se soit porté sur deux des revendications des grévistes : la période d’essai serait annulée et les ouvriers seraient réembauchés dans les mêmes conditions qu’avant. Mais les nouveaux patrons refusent de verser une prime d’indemnisation pour le transfert du statut d’entreprise publique à entreprise privée.
Il semblerait que ce soit la première fois qu’une grève de cette ampleur ait lieu dans ce secteur d’activité, tant par le nombre des grévistes que par sa durée.
Toujours d’après le China Labour Bulletin, ce qui a poussé les autorités locales, à la fois, à la négociation et la répression ait été la peur que les ouvriers mettent sur pied une section syndicale d’entreprise qu’ils auraient fait adhérer au syndicat ACFTU (All China Federation of Trade Union) comme la loi sur les syndicats votée en 2001 les y autorise. Les pouvoirs publics locaux ont donc fait courir le bruit que ce syndicat avait déjà fait les démarches nécessaires à cette création, préférant que les choses aillent plutôt du haut vers le bas. Mais dans la réalité rien n’a été fait et l’envie de créer une section syndicale reste forte parmi les ouvriers, ou plutôt les ouvrières puisque la plupart sont des femmes.
Dans l’électronique
Le New-York Times du 16 décembre raconte que la production s’est arrêtée dans l’usine qui fournit Wall-Mart en téléphones mobiles. Le personnel, essentiellement des jeunes femmes, est au nombre de 12 000, et vient essentiellement des provinces de l’intérieur.
Avant de se mettre en grève, elles ont rédigé une liste de revendications : refus des bas salaires, conditions de travail éprouvantes etc. Elles ont déclaré qu’elles devaient travailler 11 heures par jour, dont trois heures supplémentaires pour 48 euros par mois, et que la moitié de leur salaire était retenu pour payer leur frais de séjour dans les dortoirs de l’usine.
Selon certaines sources la grève s’est arrêtée après qu’un certain nombre de contrat n’ont pas été renouvelé. Joli euphémisme pour ne pas dire qu’il y a eut licenciement sec.
Une émeute
Selon Radio France Internationale, un affrontement a eu lieu, le 24 décembre 2004 dans la ville de Dongguan, dans le delta de la rivière des Perles près de Hong-Kong.
Il a mis aux prises la police et des travailleurs migrants évalués à plus de cinquante mille personnes. L’origine de cet accès de colère serait dû au vol d’une mobylette par un jeune chinois. Arrêté par la police, son passage à tabac suivit par sa mort ont mis le feu aux poudres. La victime était un travailleur migrant, originaire d’une province du centre de la Chine, le Hunan. Voilà ce que rapporte RFI : « La confrontation avec les forces de police a rapidement dégénéré lorsque des voitures de police ont été incendiées. Selon les témoins interrogés par l’Apple Daily, un tabloïd hongkongais, les policiers auraient violemment frappé plusieurs manifestants notamment ceux aux allures de « mingongs », c’est à dire littéralement des « paysans ouvriers ».
Selon la presse de Hong-Kong il y aurait eu 4 morts et une centaine de blessés.

Les retraités aussi

En Mongolie intérieure, nord ouest de la Chine, des retraités se réunissent régulièrement, depuis le 2 novembre, devant les sièges du gouvernement local et du parti pour demander que les pouvoirs locaux appliquent la nouvelle politique décidée à Pékin en ce qui concerne les retraites. Ils accusent aussi leurs anciennes entreprises de ne pas payer leurs retraites. Une retraitée disait ne recevoir que 400 yuans (40 €) au lieu des 600 auxquels elle a droit.
Une bureaucrate du Bureau des retraites dit que cela concerne environ 10 000 personnes. D’après une autre source, il semblerait que les manifestants aient été au nombre de 3 à 4000.
D’après d’autres sources, dans la Province d’Anghui, des retraités ont manifesté pour demander une augmentation de leur retraite. Ils étaient plus de 10 000. Cela aurait effrayé les autorités centrales qui seraient intervenues pour qu’une augmentation de 60 yuans soit accordée. Ce qui n’a pas satisfait les manifestants qui demandaient l’alignement de leurs pensions sur celles des fonctionnaires.
Le syndicalisme en Chine
Il n’y a qu’un seul syndicat dans l’empire du milieu, c’est l’ ACFTU, mentionné plus haut. C’est une structure bureaucratique, dirigée d’en haut par le parti. Jusque là rien de neuf. Il semble que les choses soient tout doucement en train de changer. Pas dans la structure du syndicat, ni dans sa direction, évidemment, mais dans ce qui est en jeu aujourd’hui dans ce pays, c’est-à-dire la maîtrise par le pouvoir des investissement extérieurs.
D’après le directeur de China Watch Labor, M. Han Dongfang, les journaux gouvernementaux appellent depuis plusieurs mois les entreprises étrangères à respecter le droit légal des ouvriers de créer des sections syndicales.
Il semble qu’il y ait un effort pour installer dans les usines sous contrôle étranger des sections syndicales afin de ne pas laisser les patrons étrangers en tête à tête avec les ouvriers chinois. C’est un moyen de contrôle par la bande, afin de réguler les tensions que ne manquent pas de créer l’exploitation effrénée de la main d’œuvre. Tant que cette exploitation était exercée par des organismes locaux, l’Etat le plus souvent, le syndicat était absent ou purement virtuel, maintenant que les étrangers sont de plus en plus présent, le syndicat doit cesser de jouer un rôle de figuration. On peut voir dans ce phénomène une dimension xénophobe, mais nous savons bien qu’il est toujours dangereux de donner un peu de mou à la laisse qui tient les ouvriers.
Aux dernières nouvelles des résistances se font jour face à ce processus. Trois entreprises étrangères et non des moindres, Wal-Mart (concurrent américain de Carrefour), Kodak et Samsung, ont nié avoir empêché la création de sections syndicales dans leurs établissement chinois. Respectueux des textes de lois, ils ont simplement déclaré que pas un employé de leur entreprise n’a réclamé la création d’une telle structure (Financial Times du 5/1/2005).
Ce que contredit les témoignages collectés par le journaliste du New-York Times à l’occasion de la grève dans l’usine de téléphone mobile rapportée plus haut : des ouvrières ont déclaré qu’elles ne savaient pas très bien ce qu’était un syndicat, mais qu’elles avaient besoin de quelqu’un pour plaider leur cause, que l’absence de syndicat ne pouvait qu’encourager l’entreprise à les maltraiter.
De son côté syndicat officiel se plaint des nombreux obstacles qu’il trouve dans son effort d’implantation dans les entreprises étrangères. En aparté, des cadres étrangers regrettent cette position car elle laisse la place à des irruptions sociales qui risqueraient, plus violentes, d’être incontrôlable. C’est bien ce qui vient de se passer selon les agences de presse à Dongguan,
La main d’œuvre
Si l’on se réfère aux discours des économistes et industriels de la sphère euro-américaine, la main d’œuvre chinoise est nombreuse donc pas chère. Ce sont les lois du marché !
Il semble que cela aussi soit en train de changer. Le Financial Times du 3 novembre 2004, journal préféré de ces messieurs dames, a publié une page entière sur ce problème.
Selon le quotidien saumon, on se dirige dans ce pays peu reconnaissant vers un manque de main-d’œuvre, ce qui entraînerait une hausse de salaire, donc un renchérissement de la production
Fait nouveau, des entreprises, comme celle qui produit les polos Ralph Lauren, ont créé dans les provinces de l’intérieur des centres de formation pour avoir de la main d’œuvre qualifiée.
Les premières années de cette industrialisation à marche forcée, les ouvriers venaient de la campagne, et y renvoyaient le peu qu’ils gagnaient afin d’aider leurs proches à survivre. Ces deux dernières années il semble que le revenu des paysans ait augmenté et que la différence d’avec le salaire des migrants se réduit sensiblement. Cette évolution, joint à la réticence des ouvriers vis-à-vis des conditions de travail, a pour conséquence une chute de l’émigration intérieure et un développement industriel et commercial des villes qui jusqu’alors n’étaient que des centre administratifs.

L’appétit de l’économie chinoise

Sommes-nous face à un nouveau tigre impérialiste ? Nous sommes en droit de nous poser la question. Interrogé, le voyageur européen de retour pour la première fois de cet immense pays est à la fois interloqué et subjugué. Dans le premier cas, il avait dans les yeux et le souvenir, la vision d’un pays communiste, vrai, avec des images du Président Mao à tous les coins de rue. Aujourd’hui, sorti de la Place Tien an Men, plus aucune marque extérieure du régime politique n’apparaît.. Rien ne rappelle cette épopée sanglante qui enflamma les imaginaires des maoïstes européens. Mais partout une activité débordante, on pourrait parler d’une agitation économique débridée. Partout cela creuse, construit, produit, vend. Partout des panneaux publicitaires géants décorent les villes de leurs taches de couleurs criardes. Il faut avoir accès aux réceptions officielles pour rencontrer ces apparatchiks en costume bleu sombre, tellement semblable aux nôtres, avec la même langue de bois et des ambitions démesurées de développement de leur fief.
C’est bien un maelström économique qui s’est mis en route en Chine, aspirant vers son centre tout ce qui est possible, au détriment du reste du monde. Fin novembre, les usines Nissan devaient s’arrêter de produire pendant cinq jours, pour cause de pénurie d’acier. Pour pallier cette situation, pour éviter de se voir désigner du doigt comme prédateur et contrairement à sa politique des derniers mois qui était de restreindre la production d’acier, le pouvoir chinois vient de décider de construire trois super aciéries afin d’acquérir son indépendance en approvisionnement .
Les producteurs de pneus de voiture, alertés craignent une rupture de stock dans le reste du monde, obligés qu’ils sont de fournir les voitures produites en Chine.
Pour lutter contre la pénurie d’électricité, le pouvoir chinois se lance dans la construction de centrales nucléaires d’un nouveau type.
Des pressions internationales, particulièrement américaines, s’exercent pour que la Chine réévalue sa monnaie qui est alignée sur le dollar, lui-même en chute libre par rapport à l’Euro.
La Chine investit à l’Ouest. On estime à 30 Milliards de dollars le montant de ses achats d’entreprises occidentales, comme ce fut le cas avec IBM et sa division P.C.
Ces derniers jours, la principale entreprise chinoise pétrolière, China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), a lancé une OPA de 13 milliard de dollars sur Unocal, une entreprise américaine productrice de gaz et pétrole.
Pour conclure
L’explosion économique de ce pays, l’augmentation du niveau de vie moyen ne peut que s’accompagner d’un accroissement des luttes de classe. Les conflits sociaux vont gagner en nombre, et probablement déborder sur des conflits de société, la situation écologique de ce pays prenant la pente inverse de son développement économique.
Mais, de fait, il faut constater que le centre de gravité mondial a changé de place. Il est dans cet empire qui aujourd’hui mérite bien son nom, l’Empire du milieu.
Pierre Sommermeyer