BERNARD, André. Chroniques de la désobéissance et autres textes

PROUDHON, Pierre-Joseph (1809-1865)BERNARD, AndréPUCCIARELLI, Domenico Mimmo. (1954-....). SociologueWEIL, Simone (3 février 1909 – 24 août 1943)GRAEBER, DavidCREAGH, Ronald (1929 - ....)IBÁÑEZ, Tomás

Atelier de Création libertaire, 2012. 279 p. ISBN : 978-2-35104-054-6

Présentation de l’éditeur

Faire pour une petite radio locale, lors d’une séquence libertaire, tous les quinze jours, en moins de dix minutes, sans avoir lu seulement la quatrième de couverture, la recension d’un livre ou la critique d’une revue, tel était l’engagement de départ.
Quels ouvrages choisir ? Ceux qui traitent de révolte sociale, d’anarchisme, de désobéissance civile, de non-violence active ; avec par moments de trop brefs écarts vers l’expression poétique en tout genre.
L’intérêt d’en faire un livre ? C’est de réunir ce qui est naturellement éparpillé tout en attrapant, à la découverte du « nouveau », le fil conducteur qui donnera sens à une quête existentielle et militante, en tentant de dégager des perspectives avec à l’esprit l’exigence d’une cohérence théorique et pratique ; cela sans glisser vers une posture par trop obsessionnelle.
Des articles écrits çà et là dans des revues et des journaux accompagnent ce cheminement quotidien interminablement repris.
Le monde est sans doute insensé, mais il bouge. À nous de tenter de l’orienter, de lui donner un sens...
Un texte final, définitivement provisoire, s’essaie à rassembler des « questions pour douter, des affirmations à nuancer, des négations pour précise r » et propose à ceux qui sont pleins de certitudes de débattre sur ce qui perdure dans les idées libertaires et sur les raisons d’espérer un avenir à notre goût.

Commentaire

La mise en bouche commence par un entretien avec Mimmo Pucciarelli, friand de témoignages anarchistes, pour le grand bonheur de ses lecteurs. André Bernard rappelle des souvenirs d’un passé étonnant au sein d’un groupe bordelais dont les membres se traitaient avec grand respect. Il raconte sa participation à des revues, qu’il aborde comme des outils collectifs de réflexion. Il énumère ses activités présentes : poèmes, collages, émissions radiophoniques.
Ce sont quelques-uns de ces textes que nous offre l’ouvrage : commentaires de livres, d’événements contemporains, ponctués de réflexions sur la violence. Pas de théories, tout est en nuances, dans le refus des distinctions manichéennes et dans la confrontation avec quelques auteurs contemporains comme Tomás Ibáñez, , David Graeber, John Holloway, mais aussi avec Proudhon et quelques "anciens".
Le mot de violence est péremptoire et ambigü. On justifie celle-ci en disant qu’elle fait partie de la nature : or si les singes, par exemple, se font la guerre, ils ne fabriquent pas des prisons et ils n’ont pas de chef héréditaire. La violence de l’Etat français ou du gouvernement syrien n’a rien à voir avec "la nature," elle relève des structures qu’il a mises en place. On peut en dire autant du management des entreprises.
Bernard distingue la non violence active du pacifisme, de la désobéissance civile, de la non résistance, du légalisme et du réformisme. Il remet en cause l’idée qu’une société ne peut fonctionner que si les gens obéissent sans discuter. Il rappelle que le criminel de guerre Adolf Eichmann, qui a organisé l’extermination des juifs, a voulu se justifier par le devoir d’obéissance. Or l’obéissance ne peut pas être un ciment du lien social ; bien au contraire, la désobéissance peut devenir un acte fondateur. Il insiste enfin sur le contexte global dans lequel la non violence devrait être pratiquée. Il ne suffit pas, selon lui, d’une résistance passive, mais d’une non violence active... et révolutionnaire.
On peut cependant regretter que ces chroniques ne se prêtent pas à une analyse des méthodes auxquelles recourent les non violents actifs, ces pratiques dont les camarades des Etats-Unis ou d’Allemagne donnent des exemples particulièrement frappants. Et par ailleurs, s’il est vrai, comme le dit Bernard, que les auteurs français se réfèrent plus aux traditions d’outre-Atlantique qu’à celles qui ont eu lieu dans le passé de leur pays, il faut remarquer trois choses. En premier lieu, les Etats-Unis sont, depuis la découverte de ce continent, le miroir ou les Français se regardent. Ensuite, il faut prendre acte que la France de l’UMP ou des socialistes n’est guère plus qu’une république bananière, gouvernée par le clientélisme, satellisée par Washington, où les présidents des diver partis qui se succèdent marchent sur les traces les uns des autres. Enfin, reconnaissons que la non violence n’est pas l’option favorite d’une grande partie des militants mâles des courants libertaires ; de ce fait, il n’existe qu’une faible littérature sur le sujet et encore moins de stages d’apprentissage à ces méthodes.
J’ai particulièrement apprécié le souci de rappeler aux anarchistes la pensée de Simone Weil, dont Bernard donne une fort belle citation, toute d’actualité : "Il semble q’une révolution engagée dans uneguerre n’ait le choix qu’entre succomber sous les coups meurtriers de la contre-révolution, ou se transformer elle-même en contre-révolution par le mécanisme même de la lutte militaire. Les perspectives de révolution semblent dès lors bien restreintes ; car une révolution peut-elle éviter la guerre ? C’est pourtant sur cette faible chance q’il faut miser, ou abandonner tout espoir." (p. 163-164).
Un dernier regret pour terminer : quel dommage que les divers ouvrages de Bernard ne comportent pas un index ! Toutes ces personnes qu’il nomme, toutes ces idées sur lesquelles il revient sans cesse, comme on aimerait les retrouver de temps en temps.

Ronald Creagh