« Sébastien Faure : aux origines de la Ruche »

Société. Enseignement : voir École, ÉducationFAURE, Sébastien (1858-1942)POUGET, Émile (1860-1931)Guerre mondiale (1914-1918 )Droit. Procès.- Affaire DreyfusRuche, laRencontres et Colloques. Journées d’hommage à Francisco Ferrer 90° Anniversaire de son assassinat par l’Etat espagnol. Bieuzy (Morbihan) 1999ZOLA, Émile (Paris, 1840-Paris, 1902)LEWIN, Roland (1940 -18 novembre 2009)

Jean-Pierre Caro, des Cahiers de l’Institut d’histoire des pédagogies libertaires.

Aux alentours des années 1880, Sébastien Faure, très pris par son militantisme dans le parti ouvrier, dont il s’efforce d’être le délégué, quitte Bordeaux ; il est las du socialisme parlementaire et presque naturellement s’intéresse au mouvement syndicaliste. Il rencontre à Paris le seul syndicat qui ne soit pas étroitement corporatiste, celui des « hommes de peine ».
Faure se rallie explicitement en 1888 à l’anarchisme. Excellent orateur, au style beaucoup plus mesuré que bien d’autres, il subit de nombreuses perquisitions, emprisonnements, etc. La propagande par le fait et la répression, qui s’ensuit, ne l’amènent jamais à désavouer celle-ci directement, même s’il la trouve stérile.
Dans le procès des 30, il sera acquitté ainsi que les autres théoriciens, qu’on a amalgamé avec les trois propagandistes par le fait. Il fait une tournée triomphale avec Louise Michel et en 1895 commence Le Libertaire. L’affaire Dreyfus va le mobiliser, contrairement au Père Pouget et d’autres anarchistes qui ne voient en Dreyfus que l’officier.
Faure défend le persécuté et le juif, qu’il voit si semblable à l’anarchiste. Il reprend des tournées de conférences, cette fois sur l’affaire, et il écrit un J’accuse beaucoup plus explicite que celui de Zola.
Il restera cependant toujours une composante anti-dreyfusarde importante au sein du mouvement libertaire.
"La Ruche" sera la plus belle étape de l’existence de Faure, qui prolongera sa réputation au-delà de sa mort. Elle rencontre un écho plus grand chez les artistes, intellectuels. Selon son témoignage, l’argent qu’il a tiré de sa tournée de conférences, l’amène à penser qu’au lieu de disperser cet argent de manière ponctuelle serait mieux placé dans un effort plus cohérent.
En fait, ce n’est pas l’argent mais une analyse de la situation sociale de son époque qui va l’entraîner à réunir de vingt à vingt-cinq enfants dans un milieu familial et fraternel. En janvier 1904, il ouvre une vaste maison d’une quinzaine de pièces, sans mobilier mais ayant des dépendances, un potager, etc. Le terme de "La Ruche" ne renvoie pas à la hiérarchie des abeilles mais aux ruches qu’on trouve tout autour de cette école et celles qu’elles utiliseront.
En 10 ans, Faure recevra plus de 10000 lettres, témoignages accablants sur la Belle Époque. Il exige trois critères : les enfants doivent être bien portants, c’est-à-dire sans infection constitutionnelle, avoir au moins 6 ans et demeurer à la Ruche jusqu’à 16 ans révolus.
Division des tâches, les fonctions ne sont jamais rémunérées. Salaire, avancement, etc. sont tout à fait inconnus. Pour l’extérieur, il joue la fonction de directeur, de responsable. Toutes ces responsabilités sont au service des enfants, qui discutent de leurs opinions sur des questions comme le parlementarisme ou l’avenir de l’humanité.
Le statut légal de la Ruche.
Est-il possible en 1900 à 160 personnes de vivre heureuses sans entrer dans un moule ? Il parvient à garder l’institution hors d’atteinte des inspecteurs de l’éducation : il n’y a pas d’école car pas de professeurs salariés, pas de pensionnat puisque personne ne paye. L’éducation académique tente de s’immiscer, sans succès.
La pédagogie.
Sans se prétendre spécialiste de l’éducation, Faure s’inspire de Paul Robin. Vie au grand air, sports, mouvements, enseignement rationnel, étude attrayante, observation et esprit critique, exemple, douceur, persuasion et tendresse.
3 groupes : petits de 6 à 13 ans qui partagent quelques tâches de la vie quotidienne
13 à 15 ans : autant de tâches manuelles que d’intellectuelles.
Les grands, à partir de 15 ans, cessent d’aller en classe mais peuvent suivre des cours du soir.

L’emploi du temps quotidien est relativement rigoureux. Pas de différence sensible avec celui d’une école habituelle. L’audace pédagogique n’est pas de prime abord visible. Mais mixité, comme dans une famille nombreuse : tous participent aux mêmes jeux. Pas de punition ni de récompense : l’enfant doit être comparé à lui-même, pas à ses camarades. L’enseignement est concret, autant que possible sur le terrain. Le contenu des problèmes d’arithmétique est bien clair : salaire des ingénieurs, des ouvriers, etc. Exemple de question : quelle différence, dans une année, entre le salaire annuel d’un ingénieur et d’un ouvrier ?
La Ruche est un tâtonnement expérimental de l’école de Freinet, même s’il n’en parle pas. On devrait chercher dans le Maitron toutes ces biographies dont ne parle pas l’ouvrage de Lewin.
En fait, les dépenses sont le double des recettes, mais la différence est couverte par les conférences de Sébastien Faure. Toujours optimiste, il ne voit pas cela, et la guerre le contraindra à fermer l’institution.
1914 reproduit dans le mouvement libertaire les divisions de l’affaire Dreyfus : ralliement aux alliés ou à l’antimilitarisme. Le manifeste de Sébastien Faure « Vers la Paix » est censuré et ne peut être publié dans la Bataille syndicaliste. Tiré à 2500 exemplaires, il entraînera de nouveaux démêlés avec la police, la fermeture de la Ruche.
Le 3 mars 1917, il publie un article « La Ruche est fermée ». Il en sort mortellement affligé. Il en demeurera cette idée qu’en révolutionnant l’éducation on révolutionnera le mouvement social.
Cette école a assuré à plusieurs centaines de jeunes enfants une instruction novatrice, laïque, mixte et anti-autoritaire : en un mot, anarchiste. Elle s’inscrivait dans la continuité de l’expérience pédagogique menée à la fin du 19ème siècle à Cempuis par le pédagogue Paul ROBIN, expériences comme celle de FERRER à Barcelone, qui inspireront notamment les réalisations mises en place par Célestin FREINET.
Cette intervention doit tout à Roland Lewin et à son livre, La Ruche.
Compte-rendu par Ronald Creagh. Cet exposé a été présenté aux Rencontres de Bieuzy (1999. Hommage à Ferrer)