Le Lycée expérimental de Saint-Nazaire : témoignage d’enseignants et d’élèves

Société. Enseignement : voir École, ÉducationPolitique. Éducation nationaleRencontres et Colloques. Journées d’hommage à Francisco Ferrer 90° Anniversaire de son assassinat par l’Etat espagnol. Bieuzy (Morbihan) 1999

L’idée de départ a été de mettre ensemble les profs qui s’ennuyaient dans l’enseignement traditionnel et les élèves qui avaient les mêmes sentiments. Il faut un déclic.
Le recrutement
Il y a entre 180 et 200 élèves qui viennent de tout le département. Le nombre est volontairement limité. Il y a déjà du mal à s’entendre à 19 éducateurs. On est au maximum, car il y a des décisions très dures à arracher, et ce serait impossible si on était trop nombreux.
Le recrutement se fait en fonction de l’ordre dans lequel viennent les demandes. On n’a pas que des « cas sociaux ». Les personnes qui sortent de collège en troisième ne représentent pas forcément un recrutement spécifique. En cours d’année, les inscriptions sont faites au cas par cas.
On est réticent à accueillir des élèves d’autres académies. On a des listes d’attente, car on n’a pas pu établir de hiérarchie ou de sélection, car trop de désaccord entre nous. La sélection se fait donc arbitrairement par ordre de liste d’arrivée.
Le fonctionnement
Le lycée fonctionne sur le rythme de deux semaines, sur la base d’ateliers. Il y a pendant deux semaines, une répartition en trois départements : discours, humanité, nature. Humanité c’est le social, discours c’est les formes d’expression, la nature c’est un fourre-tout. Ces trois départements lancent des idées discutées et approuvées ou non par des commissions. Les ateliers qui passent sont programmés par des volontaires. C’est le travail des matinées.
Les après-midi il y a des activités de niveaux (ce qui n’est pas le cas le matin). On voit de l’histoire, de la philo (pour ceux qui veulent passer le bac) et des activités plus libres en rapport avec le désir des élèves.
Il y a aussi des travaux d’élèves, qui par exemple font eux-mêmes tous seuls leurs projets et le réalisent, par exemple en musique : ils le jouent ensuite devant nous.
Cette apparente complexité vive à casser le saucissonnage dans le temps et dans la discipline. Le sujet d’atelier souvent recoupe toutes les disciplines et essaie de faire exploser ces coupures. Les groupes, sauf le groupe de base, sont toujours différents. Il n’y a pas d’atelier avec toujours le même groupe d’élèves devant le même prof.
Le lycée n’est pas une boite à bacs. Il y a tant de choses à faire, tant de choix possibles, qu’on a intérêt à faire les bons choix. Il y a beaucoup de possibilités de se disperser alors que le bac c’est fixe.
Souvent les élèves se donnent des objectifs bacs tout en sachant qu’ils en sont très éloignés. C’est parfois une raison qu’on se donne pour être dans une institution à 18 ans. Etre élève en terminale peut être une façon d’être à 18 ans. On peut passer le bac en deux ou trois ans. Il y a des élèves qui se disent en terminales et font en fait des ateliers qui n’ont rien à voir avec le bac.
Notre but n’est pas de faire des révolutionnaires mais de former des gens capable de faire des choix.
Le financement vient à 100% de l’État. On n’est pas régionalisé et il n’est pas sûr qu’on le souhaite. On tient à être lycée, public et laïc. On est comme les autres, mais on n’a pas d’heures supplémentaires ni de primes, car on a refusé tout cela. On refuse les inspections disciplinaires, car on n’a pas de discipline. En fait, l’État se pose des questions quand il voit ses propres échecs.

Les décisions
Les délégués des profs sont désignés par les profs. Pour les élèves c’est basé sur le volontariat, sur la durée d’une période entre deux vacances scolaires. Les collèges ont des délégués qui constituent le conseil d’établissement ; Celle-ci est la structure décisionnelle de l’établissement. Il est composé de 6 élèves et de profs. Ces 6 élèves sont pris des différents groupes de base.
Quand on passe au vote, c’est paritaire : le vote donne autant de pouvoir aux élèves qu’aux profs. Mais on vote très rarement, car il faut plusieurs années avant que tout le monde soit convaincu, sinon on sera obligé d’être répressif. On a mis des années pour avoir une friteuse parce qu’il y avait des écolos qui avaient des objections. De même plusieurs années avant la photocopieuse, parce qu’on disait que ça empêchait de lire.
En ce moment il y a un problème sur les lieux fumeurs. Il y a des décisions très dures pour que les gens ne fument pas et elles ne sont pas respectées, y compris par les membres de l’équipe éducatrice. La règle n’est pas tout à fait applicable et sur le tabac cela fait dix ans qu’on en discute : le nombre de lieux fumeurs se réduit de plus en plus. On essaie de faire comprendre aux gens qui fument, mais c’est difficile car tout le monde n’a pas décidé mais une majorité. On multiplie les discussions.
Le lycée est-il surtout autogéré par les enseignants ? Cela dépend beaucoup, du fait de la passivité des élèves. Le drame de l’éducation nationale est son uniformité ; il est intéressant qu’il y ait des formes différentes d’autogestion.
Le conseil d’établissement peut, dans des cas extrêmes, exclure : c’est arrivé deux fois en dix ans.
Le rayonnement
Pourquoi n’essaime-t-on pas ? Cela dure mais cela ne sème pas. Cela s’est fait en 1982 avec Savary pour ministre. Il y a eu plusieurs projets cette même année, et le ministère a découragé les autres projets. L’Académie de Versailles, dans un cas, manifeste beaucoup de réticence pour une expérience similaire.
A Saint-Nazaire il y a aussi un lycée expérimental, et une conclusion a été qu’il fallait en avoir un dans chaque académie. Il existe un certain nombre de projets, mais il manque une instance qui représenterait une banque d’informations. Il n’y a pas de fédération de ce type d’expériences, comme si chacun ayant eu l’opportunité à un moment de créer ce lieu laisse faire ailleurs ce qu’on peut.
Au niveau de l’expérience, beaucoup de monde passe, il y a des mémoires sur l’expérience, beaucoup de gens cherchent à comprendre. On n’a aucun rapport avec les autres lycées, il y a des réticences des deux côtés
Comment peser sur le cours des choses pour que d’autres profs, ailleurs, puissent imposer des institutions similaires ? Pourrait-on imaginer que les profs se fassent muter pour investir un lieu et le prendre en main ? Comment pousser les gouvernements à accepter l’état de fait ?
Il y a tous les ans une rencontre de tous les collèges expérimentaux en Europe, mais la vocation des éducateurs est d’abord que la boutique tourne. Parfois, on est fatigué de trop de visites, et on a envie de prendre du temps pour se consacrer à ce qui se passe localement. Un regard curieux d’autrui est souvent ambigu.
On ne veut pas non plus servir de modèle. C’est aux autres de faire leur propre expérimentation. Mais en fait on n’est pas dans un terrain vierge. L’État décide en fin de compte.
Le problème est politique avant d’être pédagogique. Quand la relation maître-élèves est bouleversée par les structures, on voit bien que l’essentiel est politique.
Il y a aussi la magie des rencontres entre les gens, s’ils ont envie de faire quelque chose ensemble. Et il y a aussi le poids du système, le conservatisme, même dans les milieux progressistes ou anarchistes.
Il existe des réseaux de fait entre les anciens élèves et d’autres.A titre individuel, un certain nombre d’élèves militent dans certaines organisations. L’équipe éducative est très mêlée : il y a des libertaires, des membres du PS, etc., et c’est riche, mieux que l’unanimisme. Beaucoup pensent qu’il y a des idées libertaires quand on arrive au lycée et on est ensuite déçu.
Pour conclure, une des plus belles réussites du lycée est d’avoir aussi bien des hard punks et d’autres en petites jupes plissées bleu marine et qui discutent ensemble. Ailleurs, ceux qui écoutent du rap ont une sorte d’exclusion par rapport à ceux qui écoutent du rock.


Compte-rendu par Ronald Creagh. Cet exposé a été présenté aux Rencontres de Bieuzy (1999. Hommage à Ferrer)