SHALAZZ. "Terre libérée, Luynes (Indre-et-Loire), 1923-1949".- 05. Des anarchistes, des naturistes, des végétaliens...
"Centre libre de Pratique Végétalienne. Oeuvre de Retour à la Terre, de Régénération et de Libération individuelle"
communautés et milieux libresIndre-et-Loire (France) Terre libérée, Luynes (Indre et Loire)SHALAZZTerre Libérée, Luynes, 1923-1949.
Chapitres précédents
– 01. Anarchisme, illégalisme et végétalisme
– 02. Le projet d’une cité végétalienne
– 03. Terre Libérée, les buts
– 04. Terre Libérée, historique
Des anarchistes, des naturistes, des végétaliens...
Ainsi, Terre Libérée a des amis végétaliens, naturistes, naturachistes et anarchistes individualistes... mais "se place au-dessus de toutes les religions, les philosophies et les morales établies" [1]. Les influences sur Rimbault sont multiples, issues de l’individualisme anarchiste comme du monde médical. Faisant preuve d’un rationalisme et d’un scientisme inébranlable (comme beaucoup de ses compagnons d’avant guerre) il a en effet suivi des études à l’hôpital et à l’asile d’aliénés. Il cite ainsi un certain nombre des scientifiques, généralement liés aux anarchistes d’avant-guerre par une commune appartenance aux milieux végétaro-naturistes [2]. Le Dr Legrain par exemple, médecin-aliéniste, conférencier, va soutenir Rimbault dans son projet [3]. Parmi ses connaissances ou ses références on peut encore relever Paul Carton [4], Demarquette [5], Marcel Labbé [6], Jean Morand [7]ou Ch. Richet [8]. Un mélange de différentes tendances médicales qui vont du moralisme à l’ésotérisme en passant par l’eugénisme. Notons que si Rimbault reprend largement certaines de ces théories, en particulier celles de Paul Carton, il supprime toute trace ésotérique ou théosophique. Citons finalement l’influence décisive de Georges Butaud, à qui il attribue sa conversion définitive au végétalisme :
"Il y avait une dizaine d’années que j’usais mes fonds de culotte sur les bancs des amphithéâtres lorsqu’un jour la réflexion me vint de me demander ce que je pourrais bien faire d’un tel enseignement pour vraiment prévenir le mal. Lorsque je tombais bêtement malade – ce qui arrive à tout bon médecin qui se respecte – ou qu’un des miens souffrant s’adressait à ma... science, je n’avais plus que le médicament à prendre ou à indiquer et cela de complicité avec un médecin de mon choix qui, comme moi, avait appris comment on meurt, mais pas comment on vit.
Ce ne sera qu’au contact de Butaud que je saurais enfin ! quoi faire des mes connaissances qui commençaient à bougrement m’embarrasser. A partir de ce moment je me livrerai à quelques recherches permettant une mise au point sérieuse du végétalisme idéal et laboratorial de cette époque en lui le principe raisonné, immédiatement et facilement contrôlable de l’infinie variété" [9].
Pendant quelques années, il fait route commune avec Butaud et Zaïkowska. Puis, malgré une admiration persistante, Rimbault se brouille avec son "Maître en végétalisme" [10].
Sans oublier le caractère ombrageux, farfelu, mégalomane de Rimbault, il semble rompre petit à petit les liens avec les uns et les autres. Le crime d’anarchisme semble lui faire ombrage. Vivre intégralement, journal naturiste soutenu par K. de Montgeot et Charles-Auguste Bontemps, la revue Hygie de la Société Végétarienne de France et même Régénération, journal du "Trait d’Union" grignotent ou refusent progressivement ses articles. Parmi les naturistes et végétariens beaucoup s’intéressent à la réforme des modes de vie, bien peu à la subversion du monde qui les entoure : "Le mouvement végétalien [...] prend en France et un peu partout à l’extérieur, une importance sérieuse. Le naturisme cherche à endiguer le mouvement végétalien qui est « non coopérateur » aux forces du mal sur lesquelles reposent l’Etat et le naturisme sanctionne les situations acquises, le naturisme n’engage à rien et le politicien y foisonne. Nous végétaliens, sommes sabotés et nos articles refoulés, nos publications renvoyées. Nous sommes pour ces gens là des « anarchistes en action » Ceux là ont vu clair ! [11] Rimbault se refuse peu à peu à faire du naturisme ou du végétarisme : seul compte pour lui le végétalisme, moyen de se libérer immédiatement et de mettre en acte son anarchisme.
Suite et fin
[1] RIMBAULT L., "Libération économique", Le Néo-Naturien, n° 16, février 1924
[2] Sur la "nébuleuse végétaro-naturiste" voir l’ouvrage d’Arnaud BAUBEROT, Histoire du Naturisme. Le mythe du retour à la nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, 348 p.
[3] C’est un aliéniste qui prône un individualisme constructif : "le véritable individualiste est celui qui extraira de son individu ce qui est le meilleur pour l’entourage et pour le milieu social à régénérer". Pourfendeur de l’alcoolisme et de la "dégénérescence" dès les années 1890, il appartient à la Société Végétarienne de France. Après-guerre, il dirige les Annales Antialcooliques et participe au journal Génération, organe du "Trait d’Union" (voir note 52).
[4] Etudiant en médecine. Malade à 26 ans, il commence alors à s’intéresser à la question alimentaire et il s’associe à la Société Végétarienne avant la guerre. Il s’éloigne ensuite de la mouvance végétaro-naturiste tout en poursuivant ses travaux sur les "aliments meurtriers". Sa médecine naturiste est imprégnée d’ésotérisme. Passéiste et réactionnaire, Paul Carton avait pourtant une certaine sympathie pour Butaud et Zaïkowska...
[5] Fondateur du "Trait d’Union", association prônant le "naturisme intégral", mélange d’hygiénisme, de réformisme libertaire et de spiritualisme mystique. Le "Trait d’Union" avait fondé le foyer végétalien, rue de Tolbiac (Léo Malet en parle dans Brouillard au pont de Tolbiac) et le centre naturiste à Chevre
[6] Chef de laboratoire à la clinique Laennec, auteur avec son frère et Louis Landozy d’une étude sur l’hygiène alimentaire des ouvriers parisiens (1905). En relation avec la Société Végétarienne de France. Tenant d’un certain "moralisme sanitaire
[7] Secrétaire général de la Société Végétarienne de France.
[8] Prix Nobel de médecine en 1913 et membre fondateur de la Société française d’eugénique. Il s’intéresse pas ailleurs au magnétisme, aux phénomènes métaphysiques et à la responsabilité du psychisme dans la maladie.
[9] RIMBAULT Louis, "Le problème de la viande. Thérapeutique végétalienne", Le Néo-Naturien, n° 17, mars-avril 1924
[10] RIMBAULT Louis, Les Secrets bienfaits de la maladie. Les Soins reléguant médecine et médecin, Orléans, La Laborieuse, 79 p.
[11] "Lettre de Rimbault à Armand, 16 février 1930, I.F.H.S., Fonds Armand, 14 AS 211